L'histoire incroyable des synthés Kawai

En l'espace de deux décennies, le fabricant japonais de pianos Kawai a sorti un grand nombre de synthés, des monophoniques analogiques d'entrée de gamme aux polyphoniques numériques avant-gardistes. Ils ont même connu le succès à la fin des années 80, en créant l'un des synthés les plus populaires de l'ère numérique. Et pourtant, à la fin des années 90, le fabricant a complètement abandonné les synthés et se concentre désormais presque exclusivement sur les pianos. Que s'est-il passé ?

La naissance de Kawai

Tout commence à Hamamatsu, au Japon, une ville désormais célèbre pour la fabrication d'instruments de musique. Koichi Kawai (contrairement à la croyance populaire, le nom ne signifie pas « mignon » en japonais), le fondateur de l'entreprise, a commencé comme apprenti dans la division piano de l'entreprise de son voisin. Ce voisin n'était autre que Torukasu Yamaha, l'homme qui a créé Yamaha.

En 1927, Kawai a ouvert sa propre entreprise en travaillant sur ce qu'il connaissait le mieux, les pianos. À la fin des années 1970, Kawai fabriquait un autre type d'instrument à clavier, les synthés.

Mais d'abord, revenons à la fin des années 40. Au Japon, la période d'après-guerre a été marquée par un regain d'activité dans l'industrie manufacturière. Les instruments de musique n'ont pas fait exception. En 1948, une société appelée Teisco a été créée, elle fabriquait des guitares, amplis, batteries et systèmes de sonorisation. Les instruments Teisco étaient également exportés vers les États-Unis et d'autres pays.

En 1967, Kawai a acheté Teisco et a ajouté un certain nombre de nouveaux instruments à sa gamme de pianos. Kawai a continué à utiliser le nom Teisco à l'étranger, y compris pour ses synthés, jusqu'en 1984. Cependant, les conventions d'appellation n'étaient pas toujours cohérentes - il était tout aussi courant de trouver un synthé de la marque Kawai qu'un synthé de la marque Teisco à cette époque, même pour le même modèle.

Au cours des deux décennies suivantes, Kawai a sorti un certain nombre de synthés, dont certains plutôt innovants. Jetons un coup d'œil à quelques-uns de ces modèles.

L'époque analogique

En 1977, Kawai a sorti son premier synthétiseur, le Synthesizer 100F. Un synthé mono à simple VCO et 37 touches, le 100F est sorti à une époque où le Japon produisait beaucoup de synthés monos.

Alors que ce synthé abordable trouvait parfaitement sa place avec les autres produits de l'époque - avec les options habituelles d'oscillateur en dents de scie, carré et bruit, de filtre passe-bas et d'enveloppe ADSR - il possédait quelques caractéristiques inhabituelles, comme la modulation VCO du filtre. Bien qu'il ne s'agisse pas du plus grand synthé de tous les temps, il a contribué à la bonne réputation de Kawai.

En 1979, Kawai sort un synthé très intéressant, le Synthesizer 100P. Rien qu'à son apparence, on peut deviner qu'il s'agit d'un synthé mono. Avec ses boutons multicolores, il ressemblait à s'y méprendre au SH-1000 de Roland et au SY-1 de Yamaha. Sous son capot, cependant, les choses deviennent un peu plus intéressantes, avec une reverb à ressort et un aftertouch avec un contrôle assignable sur le pitch bend, le filtre, le vibrato et le growl. Il est intéressant de noter que cette technologie était sous licence ARP.

Dans cette démo du Kawai 100P, on peut entendre les effets sous licence ARP.

En 1980, Kawai/Teisco a ouvert des bureaux à l'étranger et a manifesté son désir d'étendre ses ventes de synthés au-delà du Japon. Ce qu'ils ont commencé à faire avec les sorties du 60F et du 110F, respectivement monophonique et duophonique.

Le 60F pouvait être considéré comme une évolution du 100F, avec quelques fonctions inhabituelles, comme un LFO avec un contrôle continu allant des ondes en dents de scie aux ondes carrées en passant par les impulsions variables (pulse). Le 110F rajoutait un deuxième oscillateur, avec les deux oscillateurs jouables indépendamment à la manière de l'ARP Odyssey. De manière inhabituelle, il disposait également d'un filtre à huit bandes fixes, rappelant ceux des modulaires Moog classiques tels que le 907 ou le 914. Ajoutez à cela un clavier sensible à la vélocité, un ring modulator et des oscillateurs qui font office de LFO, et vous obtenez un instrument incroyable et étonnamment unique. Aussi, comme on pouvait s'y attendre de la part de Kawai, ces deux instruments étaient abordables.

L'industrie du synthé était en pleine mutation. Pour suivre la cadence, Kawai a sorti son premier synthé polyphonique en 1981, le SX-400, un gros synthé à quatre voix. C'était un bon vieux synthé, comme un 110F sous stéroïdes, qui offrait quatre modes de voix : solo (qui limitait le jeu à un seul oscillateur), duophonique à deux voix, monophonique empilé à quatre oscillateurs et polyphonique à quatre voix. Les avis sur cet instrument divergent : certains en chantent les louanges sur les forums, tandis que d'autres le détestent vraiment.

Puis vint le SX-210 en 1983, un polyphonique à huit voix avec un seul DCO. Il offrait les mêmes modes de quatre voix que le SX-400, mais cette fois avec huit oscillateurs. Kawai devait savoir que la tendance était aux boutons et non plus aux potards et aux faders, car le SX-210 utilisait des boutons d'incrémentation pour entrer les changements de paramètres. Il est intéressant de noter qu'il permettait également de saisir les noms des presets plutôt que des numéros, avec six caractères que l'on pouvait saisir en appuyant sur les touches correspondantes.

Le SX-240 est sorti l'année suivante, il possédait la fonction MIDI et un deuxième DCO. Cependant, aucun de ces modèles ne s'est très bien vendu, car il y avait le DX7 de chez Yamaha et la triple menace de chez Roland : les Juno 6, 60 et 106.

L'époque numérique

Suite au succès foudroyant du DX7 numérique, la synthèse analogique était sur le point de disparaître. À l'instar d'autres fabricants japonais de synthés, Kawai est passé au numérique. Ce choix s'est avéré être le bon, car la fin des années 80 a été l'âge d'or de Kawai, du moins en termes d'instruments électroniques, avec une variété de synthés, de batteries, de séquenceurs, etc.

Kawai a sorti le K3 à six voix, son premier synthé numérique, en 1986. Il combinait des formes d'onde numériques avec un VCA analogique et des filtres analogiques à base de SSM2044 (les mêmes que l'on trouve sur le SX-240, ainsi que sur le Polysix et le Mono/Poly de Korg). Chacun des deux oscillateurs numériques pouvait lire l'un des 32 samples de 8 bits (formes d'onde standard et instruments acoustiques) ou utiliser la synthèse additive pour générer de nouvelles harmoniques.

Découvrez cette démo du Kawai K3 pour entendre ses oscillateurs numériques et ses filtres analogiques en action.

Kawai affectionnait particulièrement la synthèse additive, y revenant deux fois au cours de la décennie suivante. Le K3 est également sorti en format rack sous le nom de K3m, lançant une tendance qui se poursuivra tout au long de l'histoire des synthés du fabricant.

Si le K3 ressemblait à un synthé numérique déguisé en synthé analogique, son successeur, le K5, était ouvertement numérique. Revenant à la synthèse additive, le K5 (et son équivalent en rack, le K5m), était un synthé multitimbral à 16 voix avec un filtre numérique, des enveloppes à six niveaux et un puissant LFO. Les sons étaient créés en combinant jusqu'à 126 niveaux harmoniques générés par des ondes sinusoïdales, avec des enveloppes de désaccordage et de hauteur également disponibles.

Dans une critique datant de l'époque de sa sortie, en 1987, le magazine Sound On Sound a plébiscité le synthé : « Le Kawai K5 est un véritable exploit. C'est le premier synthé polyphonique qui rend la synthèse additive rapide à utiliser, facile à comprendre et simple à programmer. » Malheureusement, ce n'était pas suffisant pour concurrencer le populaire D-50 de chez Roland, sorti la même année. Il fallait quelque chose de différent pour arracher des parts de marché au D-50, et ce « quelque chose » était à portée de main.

Parfois, il n'y a pas besoin d'être le plus récent ou le meilleur, il suffit d'être le plus abordable. En 1988, tout le monde voulait un Roland D-50 ou un Korg M1 ; ces deux appareils représentaient le futur avec leur synthèse PCM, mais leur prix était conséquent. Pour un tiers du prix d'un M1, par exemple, on pouvait obtenir un Kawai K1, qui disposait encore de samples d'instruments acoustiques, de cordes réalistes et de chœurs inspirants. Le K1 s'est vendu à 50 000 unités, ce qui en a fait l'un des synthés les plus vendus de l'époque.

Cette démonstration du Kawai K1 met en valeur les samples emblématiques du synthé.

Il possédait quatre oscillateurs PCM et 16 voix de polyphonie (réduites à huit lorsqu'on utilise les quatre oscillateurs), avec 256 formes d'onde PCM de huit bits. Il n'y avait pas de filtre, mais son joystick vectoriel permettait de passer d'une forme d'onde à une autre. Il était disponible en trois formats : le K1 avec clavier, la version module K1m et une version rack sans joystick, le K1r. Kawai a ensuite sorti le K1 II en 1989, ajoutant des effets et augmentant la multitimbralité.

En 1989, Kawai a sorti un nouveau synthé PCM, le K4 (avec le rack K4r). Bien que le joystick ait complètement disparu, d'autres améliorations ont été apportées, notamment des samples 16 bits, un filtre numérique très silencieux et 32 combinaisons d'effets. Il convient également de mentionner l'inhabituel XD-5, un synthé de batteries monté en rack avec des formes d'onde axées sur les percussions.

Dans les années 90, Kawai a sorti un certain nombre d'instruments utilisant la technologie PCM, comme le Spectra KC-10 (1990) et le K11 (1993), mais c'est leur retour à la synthèse additive qui a marqué la réussite de leurs synthés.

En 1996, Kawai a présenté sa dernière série de synthés, la série K5000. Basée sur la synthèse additive, on y retrouve la workstation K5000S, qui incorporait des contrôles en temps réel à l'aide de 16 boutons et 32 notes de polyphonie, et le K5000W et son équivalent en rack le K5000R, qui doublaient tous deux les boutons et les notes.

Avec 128 harmoniques par oscillateur, chacun avec des enveloppes harmoniques et deux types de filtres, passe-bas et formant, ces instruments étaient très puissants. Bien que le K5000 ait été plébiscité pour ses qualités sonores et sa synthèse, les faibles ventes ont entraîné l'arrêt de production en 1999.

Suite de l'article après l'interview
Interview

Pourquoi Kawai a-t-il décidé d'arrêter sa production de synthés ? Pour obtenir des réponses, nous avons contacté le musicien Drew Schlesinger, qui a travaillé en tant que contractant pour Kawai à partir de la fin des années 80, en créant des presets d'usine pour les K1 II, K4 et K5000.

Drew Schlesinger
Drew Schlesinger

Pouvez-vous nous donner un aperçu de votre carrière, y compris du matériel sur lequel vous avez travaillé ?

Tout a commencé avec le Casio CZ-101 et les trois cartouches de presets que j'ai réalisées pour la série CZ en 1986, ainsi que le livre The Insiders Guide to Casio CZ Synthesizers. Cela m'a conduit à une carrière de sound design et de créateur de presets qui ont été inclus dans plus de 200 synthés et effets.

Je dirais que les trois presets/programmes les plus remarquables que j'ai réalisés sont « Crystal Echoes » pour l'Eventide H-3000, qui est maintenant connu sous le nom de « Shimmer », ainsi que l'algorithme et le patch de reverb « Black Hole », à l'origine pour l'Eventide DSP-4000, qui est maintenant indépendant. Il y a aussi un preset pour le Korg Prophecy appelé « Prophetic Steps ». Les gens me demandent quels sons j'ai créés, mais il y en a eu des milliers, c'est difficile de s'en souvenir, malheureusement.

Comment a commencé votre collaboration avec Kawai ?

Après avoir travaillé avec Casio sur le CZ, je cherchais un autre synthé vendu à un prix raisonnable pour lequel je pourrais développer des patchs et les vendre.

Le Kawai K1 était bon marché, puissant, possédait un emplacement pour carte RAM, et elles n'étaient pas trop chères. J'ai donc créé les deux cartes de patch MASTERAM 64 pour le K1, et ce faisant, j'ai rencontré les responsables du produit, Danny Sofer et Malcolm Doak. Ils m'ont aidé à les distribuer et nous avons établi une excellente collaboration.

Kawai's K1 and MASTERAM-64 Cards
Cartes MASTERAM-64 pour les Kawai K-1 et K-1m

Qu'est-ce qui était différent ou spécial dans les instruments Kawai ?

Ils étaient vraiment bien conçus, sonnaient bien et n'étaient pas trop chers. Le K4 était un synthé formidable, avec des filtres numériques, des effets, un faible encombrement et un coût réduit. Le K5000 était aussi incroyable. Leur technologie et leur conception industrielle étaient de très bonne qualité.

Quel est votre synthé Kawai préféré ?

C'est probablement le K5000. Ils ont rendu la synthèse additive accessible et c'était un instrument magnifiquement conçu, qui sonnait super bien, et était vraiment unique. Il est toujours considéré comme un instrument à part et ceux qui le connaissent l'adorent.

Avez-vous des anecdotes sur votre travail avec Kawai ou des souvenirs de cette époque que vous aimeriez partager ?

C'était une société vraiment ouverte d'esprit et tournée vers l'avenir, avec une équipe formidable pour la partie synthés. Ils fabriquaient des appareils inspirants qui étaient un plaisir à programmer, travailler avec eux était merveilleux.

Comme l'équipe qui s'occupait des synthés était petite, c'était agréable d'avoir une relation étroite avec les gens qui innovaient.

Quelle était la différence entre Kawai et les autres sociétés de synthés avec lesquelles vous avez travaillé ?

Il s'agissait principalement d'une société de pianos, et non de synthés comme Roland ou Korg, mais elle avait décidé de se lancer dans ce secteur. Cela leur a demandé beaucoup d'efforts, car ils ont dû travailler pour leur « légitimité ». Le fait est qu'ils ont fabriqué d'excellents produits qui ont reçu de nombreux avis positifs et qui sont encore très appréciés, ce qui est assez incroyable.

Kawai a fabriqué un certain nombre de synthés intéressants jusqu'à la fin des années 90, ils fabriquent maintenant principalement des pianos.

Les pianos ont toujours été leur activité principale et ils en fabriquent toujours aujourd'hui, ce sont d'ailleurs d'excellents pianos.

Savez-vous pourquoi ils ont arrêté les synthés ?

Je n'étais pas au courant des discussions commerciales, mais souvent, c'est parce que le rapport coût-bénéfice n'est pas suffisant, mais ce n'est qu'une hypothèse. À cette époque, il fallait beaucoup d'efforts et de ressources pour construire des appareils électroniques. Ce n'est pas comme aujourd'hui où il existe de nombreuses options différentes. J'imagine que ce n'était pas rentable et qu'ils ont décidé de se concentrer sur leur activité principale.

C'est dommage qu'ils aient arrêté, car ils avaient un grand sens du design et la suite du K5000 aurait probablement été tout aussi excellente. Comme je l'ai dit, c'était un plaisir de travailler avec eux et j'ai un immense respect pour Danny et Malcom, pour leur soutien et pour m'avoir impliqué dans leurs projets.

Que faites-vous en ce moment ?

J'ai arrêté le sound design en 2001, mais je suis un peu resté dans le milieu. Je travaille étroitement avec Soundtoys depuis les années 90, selon moi, ils fabriquent certains des meilleurs plugins d'effets du marché. J'ai récemment créé des presets pour l'Oberheim OB-E et le M-Tron MKII de GForce, une autre société qui fabrique de superbes synthés virtuels et que je connais depuis longtemps.

J'ai également commencé à publier de la musique sur Bandcamp, ce qui est assez excitant, et à poster sur Instagram des articles sur les grands synthés et la musique électronique. Tout a tellement changé.

La fin d'une époque

Flyer for the unreleased K5000X
Un dépliant pour le K5000X, qui n'a jamais été commercialisé.

Il est presque impossible de connaître la véritable raison pour laquelle Kawai a arrêté de fabriquer des synthés. Il y avait probablement une suite au K5000 de prévue, une image montrant ce à quoi le nouveau synthé ressemblerait est apparue sur un groupe Yahoo dédié au synthé. Nommé K5000X, il devait utiliser ce que Kawai appelait la synthèse additive avancée, et posséder un clavier de 76 touches, un lecteur de disque 3.5", 37 types d'effets différents, ainsi qu'un égaliseur graphique à sept bandes et un séquenceur. Ce projet a été abandonné à la fin des années 90 et, peu après, Kawai a cessé de fabriquer des synthés.

Si l'on regarde la gamme actuelle de pianos (numériques et acoustiques) fabriqués par Kawai, on peut facilement constater que la société prospère, avec une activité florissante dans le secteur des pianos de scène basés sur les samples. Peut-être qu'après s'être intensivement investi, Kawai a décidé d'arrêter les frais, de prendre ce dont il avait besoin dans le département de R&D des synthés, de l'utiliser pour son activité principale, les pianos, et de passer à autre chose. C'est vraiment dommage qu'ils aient arrêté, car pendant un moment, Kawai était réellement innovant. Malheureusement, le fabricant n'a pas su être suffisamment convaincant auprès de ses clients.

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