Quand les erreurs de studio se transforment en succès

Bill Withers (1973). Photographie par : Michael Ochs Archives / Stringer, Getty Images.

Les sessions d'enregistrements ne sont pas toujours de longs fleuves tranquilles, même dans un studio rempli de professionnels, de petits accidents surviendront.

La plupart de ces erreurs seront identifiées et corrigées, mais parfois l'effet qu'elles produisent est si plaisant qu'elles sont laissées dans l'enregistrement final. Certaines sont même reproduites intentionnellement et deviennent ce qui caractérise des décennies de musique populaire.

Dans cet article, nous analyserons de célèbres erreurs de studio ainsi que d'autres moins connues, qui non seulement ont su trouver leur place sur les enregistrements, mais en plus ont réussi à les élever au rang de classiques.

Ce dont nous ne parlerons pas sont les exemples où il n'est pas certain s'il s'agit réellement d'erreurs, comme le changement de métrique dans "Heart of Glass" de Blondie, ou la basse désynchronisée dans "Oblivion" de Grimes, ou bien le choix artistique de Neutral Milk Hotel de laisser les voix clipper.

De même, seront exclus certains bruits que l'on peut entendre en arrière plan dans certaines pistes, comme les dialogues avant le début du morceau (par exemple "Sweet Home Alabama"), un mauvais découpage des pistes (par exemple "Paper Planes" de MIA), ou même une toux (par exemple dans "Whish You Were Here").

Prince et les choeurs en avance

Prince - "Forever In My Life"

Ce n'est peut être pas un tube, mais "Forever In My Life" de Prince est l'un des morceaux préférés de ses fans, et est considéré comme un de ses morceaux les plus personnels. Il contient de nombreuses "erreurs" alors que l'artiste est un perfectionniste.

Prince était connu pour enregistrer chaque instrument de ses morceaux dans son home studio, avec un ingénieur son pour seule compagnie. Pendant l'enregistrement de "Forever In My Life", l'ingé son Susan Rogers le rejoint dans son studio et, dans la précipitation, place la piste de choeur avant le chant principal, alors qu'elle était supposée lui faire écho.

C'est donc cette seconde voix qui guide le morceau et lui permet d'avancer. Et bien que Rogers proposa à Prince de corriger cette erreur, il préféra la garder dans l'enregistrement final.

Le mauvais coup de Radiohead

Radiohead - "Creep"

"Creep" est probablement le morceau le plus connu du groupe Radiohead, et celui qui leur a permis d'accéder à la reconnaissance du public, mais certains membres du groupe ne voulaient même pas du titre sur leur album. Le guitariste Jonny Greenwood trouvait le morceau trop tranquille et lors d'une prise, dans un passage calme entre le couplet et le refrain, il attaqua sa guitare très fort, dans l'espoir de ruiner l'enregistrement.

Au final, sa tentative de saccager l'enregistrement ajouta une énergie intense au morceau et fait partie de l'un des meilleurs moments de "Creep".

Phil Collins et la reverb gate

Phil Collins - "In the Air Tonight"

La reverb gate est un son typique des années 80, mais quelle est son origine ? Un simple accident.

Lors de l'enregistrement du troisième album solo de Peter Gabriel en 1979, un micro room repique le son de batterie de Phil Collins pendant l'enregistrement de "Intruder". L'ingé son Hugh Padgham avait placé un micro talkback très compressé dans la pièce, qui combiné avec le noise gate de la console, a donné naissance à ce que l'on surnomme maintenant la reverb gate.

Depuis la genèse (petite référence pour les fans) de cette erreur, la reverb gate a été utilisée par beaucoup d'artistes, allant de Prince à Kate Bush ou bien Lorde.

La basse fuzzy de Marty Robbins

Marty Robbins - "Don't Worry"

Quand on parle de fuzz, on ne pense pas vraiment à la musique country, et pourtant !

Alors qu'il enregistrait un solo de basse six cordes pour le "Don't Worry" de Marty Robbins en 1960, le célèbre guitariste de session Grady Martin s'est retrouvé à enregistrer en passant par un circuit défaillant dans la console de mixage, un des tubes de préamp faisait défaut, ce qui donnait un son de basse avec une forte distorsion. Martin était embêté que sa prise se retrouve ainsi gâchée, et on peut le comprendre.

Mais le producteur Don Law ne le voyait pas de cet oeil. Trouvant ce nouvel effet intéressant, il décida de laisser la prise dans la version finale, et le reste c'est de l'histoire. Le morceau fut un succès, septième tube de Robbins à se classer numéro un du classement de musique country, et il atteignit également la troisième place du classement de musique pop.

L'ingé de session Glen Snoddy ne répara pas le canal qui faisait défaut et au contraire, le rendit accessible aux autres musiciens qui aimaient ce son. Il y avait une telle demande que Snoddy recréa ce défaut dans le Fuzz-Tone, un circuit qui reproduisait ce son de distorsion si spécial, qui fut ensuite donné à Gibson pour que la compagnie produise le FZ-1 Fuzz-Toneavec leur filiale Maestro.

The cars, le batteur à l'envers

The Cars - "Just What I Needed"

C'est assez courant pour les groupes de penser leurs arrangements en fonction des paroles. Pensez au six coups de caisse claire sur la phrase "robbing people with a six gun" dans "I Fought The Law", symbolisant les six coups d'un revolver.

Mais alors que les The Cars ne pensaient pas à utiliser la batterie pour illustrer leurs paroles, le batteur David Robinson inversa par accident ses coups de caisse claire, les jouant sur le 1 et 3 au lieu du 2 et 4, sur la phrase "I kinda lose my mind" dans le second couplet.

Le résultat est une métrique interrompue pendant quelques lignes jusqu'à ce qu'il retombe sur ses pieds, dans le bon rythme. Et cela s'accorde si bien avec la phrase "I kinda lose my mind" que le groupe décida de laisser l'enregistrement tel quel. L'erreur fraichement adoptée se retrouve également juste avant le refrain suivant.

The Kingsmen, le micro perche et l'appareil dentaire

The Kingsmen - "Louie, Louie"

"Louie, Louie", interprété par The Kingsmen, a rapidement obtenu le statut d'infamie. En plus d'être très entraînant, les paroles du morceau sont presque totalement incompréhensibles, ce qui a conduit à une enquête de 31 mois sur les paroles, que beaucoup ont cru profanes.

Alors, pourquoi ne pouvons-nous pas comprendre un seul mot de ce que chantait Jack Ely ? Etait-il soûl, ou en train de planer ?

En réalité, ça n'a rien d'aussi répréhensible. Jack Ely n'avait que 19 ans lorsqu'il a enregistré "Louie, Louie", qui a été capturé en une seule prise par le DJ Ken Chase de Portland, Oregon. Cette performance vocale unique est due à une combinaison de deux choses : sa bouche était abîmée par son appareil dentaire et il chantait dans un micro suspendu à une perche, anormalement haut, en se tordant le cou, et en chantant directement la tête en l'air. Il y a une bonne raison pour laquelle cette technique n'est pas enseignée pendant les cours de chant.

Avec un cou tendu et une bouche douloureuse, les paroles se sont ainsi transformées en un véritable charabia. Et si l'on pourrait imaginer qu'une telle erreur puisse nuire aux ventes d'un disque, le mystère des paroles a, au contraire, permis au groupe de se faire connaitre, même si cela signifiait qu'il faisait l'objet d'une enquête du FBI.

Mais ce n'est pas la seule erreur de l'enregistrement, en effet juste après le solo de guitare, Ely rate son entrée et reprend le chant un peu trop tôt. Heureusement le batteur Lynn Easton rattrape le coup très rapidement avec un fill de batterie. Cette maladresse est devenue si populaire qu'elle fut reproduite par de nombreux groupes qui ont repris ce classique écrit par Richard Berry.

The Breeders et le slide manqué

The Breeders - "Cannonball"

The Breeders sort un énorme tube en 1993 avec "Cannonball". L'intro du morceau est iconique, les harmonies saturées des jumelles Deal, des percussions jouées sur le cerclage de la caisse claire et le stand de cymbale, et finalement, le riff glissé de la bassiste Josephine Wigg.

Mais ? Pourquoi glisse-t-elle jusque au La alors que tout le reste du groupe joue un Si bémol ?

Pendant les répétions pour le morceau, Wiggs avait du mal à arriver sur le Si bémol lors de son slide, et atterrissait toujours sur le La. Alors Wiggs s'arrêtait pour prendre le temps de trouver la bonne note. Finalement, le groupe décida de laisser le slide qui atterrit sur un La dans l'intro, ce qui ajoute du suspens à ce morceau très énergique.

Metallica s'échappe du manche

Metallica - "Master of Puppets"

Le titre, présent sur l'album du même nom Master of Puppets, fut un énorme succès pour Metallica lorsqu'il sortit en 1986, et on y retrouve un des meilleurs solo de Kirk Hammett, ainsi qu'une erreur qui fut si parfaite qu'Hammett essaya de la reproduire pendant des décennies, avec plus ou moins de succès.

Lors de son dernier solo, le doigt de Hammett dérape, tirant la corde de mi aigu hors du manche, ce qui a pour effet de donner une note très aigu qui semble crier. Bien qu'involontaire, le résultat est apprécié des fans et du groupe. Le solo s'est même hissé à la 51ème place du classement des 100 meilleurs solos par Guitar World.

The B-52s et l'arrêt oublié

The B-52s - "Love Shack"

"Tin roof, rusted!" (Toit de tôle, rouillé !) C'est cette phrase mystérieuse qui a obsédé les fans et conduit à une multitude d'interprétations différentes, mais elle n'était pas censée faire partie du plus gros tube des The B-52's, "Love Shack".

En enregistrant "Love Shack", les B-52's voulaient un son qui se rapproche d'une jam, surtout vers la fin du morceau. Alors que le groupe improvisait, tous les membres se sont arrêtés, sauf la chanteuse Cindy Wilson qui n'a rien remarqué et a lancé cette fameuse ligne.

Comme on peut l'entendre dans les rires qui ont suivi cette étourderie, le groupe a adoré ce moment et a décidé de le garder. Le passage a fini sur la version radio, devenant l'une des phrases les plus citées du morceau.

Bill Withers (et d'autres) oublie(nt) les paroles

Bill Withers - "Ain't No Sunshine"

Il arrive assez souvent qu'un chanteur change ou oublie des paroles lors d'un enregistrement, mais parfois, de grands chanteurs profitent de ces moments pour transcender les paroles originales.

Bill Withers a oublié les paroles de "Ain't No Sunshine" de 1971 pendant sa session d'enregistrement. Au lieu d'arrêter la bande, il a essayé de gagner du temps. Comment a-t-il fait ? En répétant les paroles "I know, I know, I know..." jusqu'à ce qu'il se replace dans le morceau. Cela fonctionne d'autant plus qu'on a l'impression qu'il est en train d'accepter quelque chose de plus en plus difficile.

Onze ans plus tôt, Ella Fitzgerald lance à la foule "On espère se souvenir de toutes les paroles", alors que le groupe commence à jouer "Mack the Knife" de son enregistrement live Ella in Berlin. Comme on peut s'en douter, elle ne s'en est pas rappelées. Mais ce qu'elle a oublié, elle l'a remplacé par de charmantes improvisations et a ensuite remporté deux Grammy Awards lors de la 3ème édition de la cérémonie, en partie grâce à son petit oubli.

Parmi toutes ces icônes de la musique, on retrouve également Fontella Bass qui a oublié quelques unes de ses propres paroles en 1965, pendant l'enregistrement studio de "Rescue Me". Mais tout comme Bill Withers, elle a continué à chanter. "À l'époque, on ne s'arrêtait pas quand les bandes tournaient," raconte Bass." Je me suis rappelée de ce que l'on faisait à l'église lorsqu'on oubliait les paroles. J'ai chanté, 'Ummm, ummm, ummm,' et ça a parfaitement fonctionné."


Lorsque vous enregistrez de la musique, c'est compréhensible de vouloir que la performance et toutes les prises soient parfaites. Mais beaucoup de la magie de studio opère lorsque l'on expérimente et que l'on s'autorise les erreurs, tout en restant ouvert sur ce qui convient ou non au morceau.

Et parfois, une erreur ou un petit accident peut même influencer d'autres artistes qui vont chercher à reproduire l'effet, comme par exemple avec Phil Collins, Marty Robbins, et Kirk Hammett. Cela peut aussi rendre le son plus amusant et mémorable comme avec The B-52s ou même lui donner une nouvelle énergie, comme pour Radiohead.

Alors commencez à enregistrer dès aujourd'hui, expérimentez, et ne craignez plus l'erreur.

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