Interview : Jouer de la guitare sous les étoiles du désert avec Tinariwen

Le désert a toujours été une source d’inspiration pour les joueurs de guitare électrique. Née en Californie des mains de fabricants tels que Fender et Rickenbacker, la guitare électrique a joué un rôle prépondérant dans les bandes originales de Spaghetti Western composées par Ennio Morricone.

Plus que tout autre groupe avant eux, Tinariwen a créé une musique qui incarne le son du désert. Leur histoire est aujourd’hui bien connue : Tinariwen est un groupe de musiciens appartenant au peuple touareg, une nation nomade apatride qui s’étend de l'Afrique du Nord au Sahara. Le groupe se forme en 1979, mais ce n’est qu’au début des années 2000 qu’il atteint une renommée internationale, après la sortie de The Radio Tisdas Sessions.

Le groupe a reçu le Grammy Award du meilleur album de musique du monde en 2012 pour son disque Tassili, et une nomination en 2018 pour son album Elwan, tout en continuant à tourner dans le monde entier et à faire connaître leur culture, ainsi que les « problèmes touchants les peuples nomades qui souffrent de toutes sortes de persécutions et du changement climatique », comme ils se décrivent eux-mêmes.

Tinariwen - « Kel Tinawen » (Feat. Cass McCombs)

Leur dernier album, Amadjar, est certainement celui qui évoque le plus le désert. En octobre 2018, après s'être produit au festival de Taragalte au Maroc, le groupe s'est rendu en Mauritanie, un pays au sud du Maroc sur la côte ouest de l'Afrique, pour enregistrer. Le voyage a duré une douzaine de jours, et chaque soir, le groupe jouait sous les étoiles, pour reprendre la route le lendemain. À leur arrivée à Nouakchott, en Mauritanie, les membres du groupe ont rencontré leur équipe de production française (dirigée par Patrick Votan), venue à bord d’un camping-car équipé d'une régie de studio de fortune. Le groupe s'est installé sous une tente et a enregistré dans le désert.

Le bassiste et parfois guitariste Eyadou Ag Leche nous a expliqué le concept d'Amadjar : « Après notre dernier album, Elwan, qui était orienté rock/up-tempo, nous voulions revenir à nos racines. Nous voulions faire de la musique comme avant, en voyageant à travers le Sahara, en rencontrant des amis et en jouant autour d’un feu de camp.

C'est pourquoi nous avons décidé de réaliser cet enregistrement de cette manière, en voyageant du Maroc à la Mauritanie, où nos amis [la chanteuse] Noura Mint Seymali et son mari [le guitariste] Jeiche Ould Chighaly nous attendaient dans la brousse, près de Nouakchott ».

Une James Trussart style LP semblable à celle d’Ag Alhabib.

Lorsque l’on écoute l’album Amadjar, on ressent vraiment ce côté naturel et organique. Il est facile d’imaginer le son de Tinariwen dans l'immensité du désert, et ce disque est à la hauteur de cette vision. « Être dehors, sous les étoiles, au milieu des dunes de sable, dans le silence, c’est la meilleure façon de faire de la musique », explique Ag Leche. « Nous enregistrons généralement au début de la soirée jusqu'à minuit, ce sont des moments magnifiques et inspirants. La nature est si importante dans notre vie de nomade ».

Tinariwen ont fréquemment collaboré avec des musiciens occidentaux au cours de leur carrière, en particulier des guitaristes. Ils ont été rejoints sur des albums précédents par des artistes tels que Nels Cline, Kurt Vile, Matt Sweeney et The Dirty Dozen Brass Band. Bien que le son d'Amadjar se concentre sur la performance de Tinariwen dans le désert, le groupe a été rejoint par Warren Ellis (Dirty Three), Stephen O'Malley (Sunn O))), Micah Nelson (Promise of the Real) et Rodolphe Burger (Kat Onoma), ainsi que par Seymali et le guitariste Chighaly, mentionnés ci-dessus.

« Nous rencontrons beaucoup de musiciens géniaux au cours de nos tournées », dit Ag Leche, « et nous aimons partager notre musique avec les autres ».

Lorsque Tinariwen reçoit des invités, il est parfois difficile de les repérer, car le résultat n'est souvent qu'une texture de plus dans le tissu sonore façonné par le groupe. La musique de Tinariwen n'est pas l'œuvre d'un seul musicien, mais la somme de différents artistes, à tel point que même un musicien au son aussi extrême et personnel que Stephen O'Malley est capable de s'y intégrer.

Le bassiste explique : « Notre musique est ouverte à l'expérimentation et à la texture sonore. Nos artistes invités apportent leur propre son et leur personnalité tout en respectant l’identité de notre musique. La collaboration avec d'autres guitaristes est toujours inspirante, surtout pour les jeunes guitaristes du groupe ».

Tinariwen - Live de « Sastanàqqàm » sur KCRW

La guitare est un élément central de la musique de Tinariwen. Le groupe a défini son propre langage grâce à cet instrument, créant un son qui porte la guitare électrique en son cœur, et où les jeux mélodique et rythmique viennent se tisser autour.

« Ibrahim [Ag Alhabib, chanteur et guitariste] a appris à jouer de la guitare avec une boîte de conserve et une corde métallique avec un morceau de bois », explique Ag Leche. « Il a développé son propre style que nous appelons la guitare Ishumar. C’est un mélange entre la façon dont on joue sur un gimbri et sur un ngoni, en y ajoutant une touche de blues ».

C'est cette combinaison de leurs propres styles de jeu traditionnels avec ceux des musiciens de rock et de blues classiques qui crée le son que l'on appelle communément le « blues du désert » et qui constitue une part importante de l'esthétique Tinariwen.

« Pendant les années 80, on a découvert Hendrix, Led Zeppelin, Dire Straits, B.B. King et John Lee Hooker. Cette musique était nouvelle pour nous ».

Ces influences constituent un point d'entrée dans l’univers du groupe pour les auditeurs occidentaux.

« Je pense que beaucoup d’amateurs de rock aiment notre musique parce que nous jouons de la guitare », dit Ag Leche. « Pour nous, la guitare est l’instrument idéal pour accompagner le chant. Nous ne faisons pas de solos. C'est notre deuxième voix, la façon dont nous jouons de la guitare est une réponse à notre voix ».


Le matériel de Tinariwen

L’envergure internationale de Tinariwen leur a permis de se faire des amis parmi les guitaristes occidentaux, mais aussi d’ouvrir la voie à d'autres musiciens touaregs en Occident. Le guitariste touareg Mdou Moctar, qui a sorti son dernier album, Ilana (The Creator) au début de l'année, a effectué de nombreuses tournées aux États-Unis, tandis que l’artiste Bombino a reçu les éloges de la critique occidentale et une nomination aux Grammy pour son album Deran en 2018.

Alors que l'accueil réservé à Tinariwen a été très chaleureux aux États-Unis, le groupe a reçu cet été des menaces racistes en réponse à une publicité sur Facebook pour un concert se déroulant à Winston-Salem, en Caroline du Nord. Cet incident a donné le nom de Amadjar qui signifie « le visiteur inconnu ». Le groupe a publié une déclaration officielle expliquant que leur musique « est un message de paix et de liberté pour leur peuple du Sahara » et que le fait « qu'une minorité de personnes puisse penser que Tinariwen soutient un mouvement religieux extrémiste » les rendent très tristes. « Cela signifie que nous devons travailler plus dur et continuer notre lutte contre l'ignorance » ont-ils déclaré.

Le dernier album en date de Tinariwen,Amadjar, est sorti le 6 septembre. Le groupe est actuellement en tournée aux États-Unis. Rendez-vous sur leur site web juste ici pour connaître les dates de la tournée.

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