Les origines du Mellotron : « The Sounds of Life » à portée de vos doigts

Novembre 1966 aux studios EMI d'Abbey Road, Paul McCartney joue sur un Mellotron Mk2 au studio II. Il est à la recherche d’une intro pour un nouveau morceau des Beatles. Pendant qu'il joue une note sur le Mellotron, une petite roue sur la face inférieure de la touche pousse une tige rotative motorisée à l'intérieur, ce qui met en mouvement un morceau de bande magnétique, alors qu’en même temps, un tampon sur la base de la touche pousse la bande contre sa tête de lecture individuelle.

Paul presse plusieurs boutons sur la banque de contrôles au-dessus des touches et sélectionne la piste A de la station 1, un son semblable à celui d'une flûte sort alors de l’appareil. Il essaie un accord en mi avec trois tonalités : sol dièse, si et mi dans la basse. Paul est amusé par l'atmosphère produite par cet étrange instrument. On dirait bien qu’il a trouvé ce qu’il cherchait.

Bill Fransen posant avec un MKI flambant neuf, 1963

Le Mellotron est souvent considéré comme une sorte de sampler avant l'heure, et au vu de son utilisation à Abbey Road, il n'est pas difficile de comprendre pourquoi. À l'époque, on n’avait encore jamais entendu le son d'un autre instrument sortir d'un clavier. À la base, le Mellotron, cette machine imposante et lourde, capable de fournir des rythmes pré-enregistrés, des accompagnements et des sons de lead préenregistrés, a été conçu comme un instrument de divertissement haut de gamme pouvant rivaliser avec l'orgue Hammond.

À la fin des années 40, Harry C. Chamberlin commença à explorer le potentiel instrumental d'un système de lecture de bandes et à fabriquer ses claviers Chamberlin en Californie. Au début des années 60, l'associé d’Harry, Bill Fransen, se trouve en Angleterre, apparemment à la recherche d'un fournisseur de têtes de lecture. Il se rend chez Bradmatic à Birmingham, une petite entreprise dirigée par trois frères - Leslie, Norman et Frank Bradley - qui fabriquaient, entre autres, des magnétophones. Bill donne aux Bradley l'impression que l'idée du clavier à bande est la sienne (un oubli qui a mené plus tard à un règlement de comptes avec Harry Chamberlin) et peu de temps après, ils créent ensemble une société pour produire l'instrument de lecture. Ils décident de l'appeler le Mellotron, mashup des mots « melody » et « electronics ».

Eric Robinson, un chef d’orchestre britannique à succès, aida à financer la commercialisation du Mellotron, aux côtés du célèbre magicien David Nixon. (Il existe d’ailleurs un film d'actualités Pathé des années 60 hyper ringard avec le duo vantant les mérites de l'instrument en tant qu’objet de divertissement ménager.) Non seulement, Eric investi une importante somme d’argent, mais il supervise également l'enregistrement des bandes maîtresses du Mellotron dans ses studios de l'IBC à Londres. Les enregistrements réalisés par les musiciens fournissent tous les sons nécessaires aux reproductions de cuivres, de bois, de cordes et plus encore.

Eric Robinson et David Nixon présentent le Mellotron au Pathé britannique

Le premier Mellotron à être produit fut le Mk1 de 1963, plus ou moins une copie du Chamberlin. Sa commercialisation fut de courte durée. Sa version améliorée, le Mk2, fut introduit en 1964 au prix de £1,000 (environ $2,800 à l'époque, quelque chose comme $22,000 19 500 € aujourd'hui), le même que celui se trouvant à Abbey Road.

Il comportait deux claviers de 35 notes côte à côte allant du sol au fa. Celui de gauche offrait des boucles rythmiques réunissant toutes ses possibilités de divertissement à domicile (rythmes cubains, valse viennoise, boléro, etc.), et des sons d'accompagnement comme l'orgue d'église, les flûtes swinging, le Blues Beat et plus encore. Le clavier droit offrait des instruments taillé pour le lead ou les mélodies, y compris la flûte de Paul, le saxophone ténor, les trois violons, la mandoline, etc.

Chacune des 70 touches du Mk2 activait une longueur individuelle de bande magnétique, ce qui explique pourquoi il est parfois décrit comme une boîte à 70 magnétos à bande. Sur chaque longueur de bande, on trouvait six sons ou ensembles différents sélectionnables par stations et trois sons différents sur la bande, sélectionnables par tracks, fournissant 18 sons pour chaque touche.

Mellotron MKII des années 60

Le Mk2 avait un ampli stéréo et des haut-parleurs intégrés, ainsi qu'une reverb et un pitch parmi les commandes. Tout était construit dans un grand coffre en bois, résultant en un meuble très lourd, de type Hammond. Certainement pas une machine que vous voudriez trimballer sur la route.

En studio, des musiciens de rock et de pop ont commencé à s'intéresser au Mellotron, notamment pour son potentiel à créer une atmosphère particulière grâce à ses reproductions enregistrées d'instruments réels. Et surtout, ils ont compris qu’au-delà d'être des imitations fidèles, ces pré-enregistrements étaient de véritables créations uniques.

Parmi les autres caractéristiques du Mellotron, on peut relever la qualité des bandes elles-mêmes, une nette tendance à se désaccorder, la limite de la durée d'une note à environ huit secondes, et un clic souvent entendu au début d'une note lorsque la tête de lecture était engagée. Toutes ces particularités ont contribué au succès du Mellotron à l’époque où la scène pop était avide de tout ce qui était différent et inhabituel. John Lennon, qui, en 1965, a acheté un Mk2 pour son usage personnel après l'avoir vu en action à l'IBC, fut l'un des premiers à l'avoir adopté.

Pub pour le Mellotron M400, 1972

La même année, en 1965, sont enregistrés quelques-uns des premiers enregistrements pop mettant en vedette le Mellotron et réalisés par The Graham Bond Organisation lors d'une session au studio olympique de Londres. Plusieurs titres de l'album There's A Bond Between Us de Graham, comportent, en plus de l’Hammond habituel, quelques incursions discrètes du Mellotron, dont les morceaux « Baby Can It Be True » et le single « Lease On Love ». Le single « Semi-Detached, Suburban Mr. James » de Manfred Mann, enregistré en 1966 chez Philips à Londres avec une intro à la flûte Mellotron, fut le premier titre avec usage du Mellotron à remporter un franc succès.

D'autres modèles de Mellotron suivirent le Mk2, y compris une version chargée d'effets utilisée entre autres par la BBC. En 1968, le M300 52 touches fait son apparition, et quelques années plus tard, sa version améliorée, le M400 35 touches. Le 400 était plus petit que le Mk2, avait des commandes plus simples, pas d'ampli ni de haut-parleur, et un seul jeu de bandes sonores, avec pour le modèle standard la flûte, le violon ou violoncelle, mais avec possibilité de le customiser.

Comme on pouvait s'y attendre, le modèle 400 blanc fut celui le plus utilisé en tournée par plusieurs groupes de rock courageux qui, dans les années 70, ont fait du Mellotron un ingrédient clé de la recette de musique prog. On peut citer les groupes The Moody Blues, King Crimson, Yes, Tangerine Dream, Barclay James Harvest et Genesis.

L'échantillonnage numérique, un moyen plus efficace et plus fiable de recréer et de modifier les sons d'instruments réels, aurait dû sonner la fin du Mellotron. Et pendant un moment, cela a semblé être le cas. En raison de problèmes commerciaux épineux, la société britannique avait perdu le nom de Mellotron, bien qu'elle ait continué à fabriquer les instruments sous le nom de Novatrons jusqu'en 1986, et Chamberlin avait cessé de produire leurs versions aux alentours de l’année 1981.

Mais le son si particulier du Mellotron, produit de ses entrailles résolument analogiques, lui ont sauvé la mise. David Kean et Markus Resch ont réalisé les modèles MkVI (1999) et MkVII (2003) et ont travaillé à la préservation de la bandothèque originale pour Mellotron et Chamberlin. L'opération britannique a été relancée par John Bradley (fils du cofondateur Les Bradley) et Martin Smith qui, en 1993, ont créé un CD hommage à Mellotron, The Rime Of The Ancient Sampler. Pour certains musiciens, les attraits du Mellotron n'avaient jamais totalement disparu, mais grâce à des groupes comme Radiohead ou Oasis, on assistait à un véritable revival.

Mellotron M400

Aujourd’hui, vous pouvez choisir d’acheter un instrument neuf signé John et Martin chez Streetly Electronics, le M4000, ou vous pouvez partir à la recherche d’un original (vous aurez probablement besoin de le faire reconditionner). Vous pouvez également vous mettre en quête d’un clavier numérique M4000D, M4000D Mini ou M4000D Rack, qui vous permettra de jouer toute la collection numérique de bandes sonores du Mellotron sur le clavier MIDI de votre choix.

Vous pouvez télécharger une application pour quelques dollars ou un des plusieurs plugins disponibles offrant un large éventail de sons type Mellotron. En réalité, il n'a jamais été aussi facile de faire du son « Mellotron ».

En 1966 à Abbey Road, Paul McCartney persévère avec le Mk2 et met au point une belle intro à la flûte pour le morceau des Beatles, « Strawberry Fields Forever », meilleure publicité Mellotron de tous les temps.

McCartney faisant une démonstration du Mellotron Mk2

Rick Wakeman a joué du Mellotron sur « Space Oddity » de David Bowie (on lui avait payé pour la peine des frais de session à 9 £, environ 18 € à l'époque) et plus tard avec Strawbs, Yes, et sa musique solo. « J'adore les sons uniques qu'ils produisent », a-t-il déclaré à Frank Samagaio dans The Mellotron Book. « Mais en même temps, ils m’en ont fait pas mal bavé quand ils déconnaient en tournée.»

Je terminerai cette article avec mon top 11 personnel des morceaux au Mellotron, sans classement particulier. Merci de me rappeler ceux que j'aurais malencontreusement oubliés.

Les 11 meilleures morceaux au Mellotron de Tony Bacon
Les 11 meilleures morceaux de Martin Smith

Mise à jour : Après avoir lu l’article de Tony Bacon, Martin Smith de Streetly Electronics a voulu partager avec nous ses morceaux préférés au Mellotron : « Cet article est clair et concis... et précis. Bravo ! Je dois quand même rappeler que les Moodies n'ont jamais utilisé le M400, mais à part ça...» Voici son Top 11 :


À propos de l'auteur : Tony Bacon écrit sur les instruments de musique, les musiciens et la musique. Il est co-fondateur de Backbeat UK et de Jawbone Press. Il est l’auteur de London Live and Electric Guitars : The Illustrated Encyclopedia, et éditeur des différentes éditions de Beatles Gear. Tony vit à Bristol, en Angleterre. Plus d'informations sur tonybacon.co.uk.

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