Le premier come-back des Les Paul : quand Gibson a relancé la célèbre gamme

En 1968, Gibson annonce la réédition de deux modèles de guitares Les Paul, sortis une dizaine d’années auparavant. Cette année-là, Stan Rendell avait été promu président de Gibson. Il avait remplacé Albert Stanley, qui avait à son tour remplacé Ted McCarty en 1966. Il travaillait pour la société mère de Gibson, CMI, depuis 1963 et en 1968, il était responsable de toute la production.

Publicité pour la nouvelle gamme Les Paul en 1968

Mais Stan en avait assez d’enchaîner les allers-retours entre les usines de CMI, et son patron, Maurice Berlin, lui proposa le poste le plus élevé de chez Gibson. Stan accepta, sans se rendre compte du défi qui l’attendait. Maurice avait prévenu Stan de la situation financière dans laquelle se trouvait Gibson et lui avait déclaré : « Assurez-vous d'améliorer la situation de l'entreprise. »

C’est lors de sa visite à l'usine Gibson de Kalamazoo que Stan découvre l’ampleur de la situation. « Nous avions toutes sortes de problèmes de qualité. Nous avions des problèmes de production. Nous avions des problèmes de personnel », m'a-t-il dit. « Nous avions des problèmes de syndicat. C’était sans fin.» Stan s'est mis au travail. Il a développé un service de management au sein de l'usine, créé des calendriers de fabrication, amélioré les routines d'inspection, aménagé une salle de stockage à l’écart et tenu des réunions régulières.

« Nous avons aussi acheté une tonne de nouveaux équipements, toutes sortes de choses », se souvient Stan. « M. Berlin a déclaré que pendant les cinq premières années où j'étais là-bas, il y a eu plus de nouvelles idées, de nouvelles machines et de nouveaux produits que dans toute l'histoire de la société Gibson. C’était génial. Et si nous ne savions pas comment faire quelque chose, nous le découvrions ».

En 1968, l'année de l'arrivée de Stan, Gibson vantait encore les mérites de la SG, la nouvelle guitare électrique solidbody. Pour l'entreprise, cette guitare à double cutaway et au style moderne remplaçait la Les Paul single cut. Mais certains guitaristes de renom avaient jeté leur dévolu sur un autre modèle. Jeff Beck, Michael Bloomfield, Eric Clapton, Billy Gibbons, Peter Green et Keith Richards, pour n'en citer que quelques-uns, avaient découvert le charme et la puissance de l'ancienne Les Paul.

À la même époque, Bruce Bolen rejoint l’entreprise pour se produire lors de spectacles promotionnels en tant que guitariste itinérant. Au cours des années suivantes, il prend de plus en plus de responsabilités au niveau de la conception des guitares et du marketing de la marque. Lorsqu'il rejoint Gibson en 1967, Bruce est lui aussi témoin de la mauvaise santé de l’entreprise.

Les Paul Standard de 1968

« L'une des raisons pour lesquelles j'ai été engagé est que les ventes de guitares électriques Gibson étaient en chute libre », m'a-t-il dit. « Nous n'avions que les SG en modèle solidbody, plus les archtop et les thinline, et elles ne se vendaient pas très bien. Les bestseller de la marque à l'époque étaient les acoustiques flattop. J'ai donc été engagé pour vendre des guitares électriques ».

Les managers de chez Gibson et CMI ne tenaient pas compte de l'intérêt grandissant des guitaristes de rock pour les Les Paul originales, selon Bruce. « Moi, j'étais un ado punk, mais la plupart des gens qui étaient là avaient la cinquantaine ou plus », se souvient-il. « Je ne pense pas qu'ils aient compris à quel point cette guitare redevenait importante. Des artistes comme Mike Bloomfield ou Eric Clapton ne juraient que par ces guitares qui offraient un son s’adaptant parfaitement à leur style de musique ».

Jeff Hasselberger, qui avait rejoint l’entreprise Ibanez au début des années 70, s'est inspiré des guitaristes et des grandes marques de l'époque. « Mettre l’accent sur d’anciens modèles était la bonne stratégie », a déclaré Jeff. « Nous savions que si Jimmy Page ou Jeff Beck montaient sur scène avec une Telecaster, ou s'ils sortaient avec une Les Paul, alors les Les Paul ou les Telecaster devenaient sexy. Il fallait faire pareil chez Ibanez. Je ne pense pas que Gibson et Fender suivaient ces choses de près ou même qu'ils savaient qui étaient ces gens. Lorsque vous vous rendiez à une soirée Gibson, vous trouviez tous leurs potes de jazz, Barney Kessel, Howard Roberts, ce genre de gars ».

Un jour, le vice-président Marc Carlucci m’a demandé si je pouvais rester au siège de CMI à Chicago. C’était peu de temps après l'entrée en fonction de Bruce Bolen chez Gibson. « Marc m'a dit que quelqu'un devait venir lui montrer quelque chose et qu’il voulait avoir mon avis », se souvient Bruce. J'ai demandé qui c'était, et il m'a dit qu'il s'agissait deLes Paul. Quand j'étais petit (je devais avoir dans les six ans), j’étais fan de Les Paul, j'étais donc ravi de pouvoir le rencontrer. Gibson n'était pas encore sûr de réintroduire la guitare Les Paul. Alors j’ai supplié : « S'il vous plaît ! »

Depuis le milieu des années 60, Les Paul ne faisait plus grand-chose en tant qu’artiste, mais en 1967, il fait son retour avec l’album Les Paul Now. Cette rencontre, la même année, marque le début d'une nouvelle association avec Gibson et le début du programme de réédition des modèles Les Paul. Voilà ce dont il se souvient.

Les Paul : « J'ai appelé Gibson et j'ai dit : ‘Les gars de chez Fender veulent passer un accord avec moi, et mon divorce est terminé’. J'ai demandé si Gibson voulait aussi passer un accord. Et M. Berlin m'a dit que c'était drôle que j'appelle à ce moment-là, parce qu'ils voulaient retirer tous les instruments électriques de la ligne Gibson. Il m'a dit que la guitare électrique était en voie de disparition. Je lui ai donc demandé s'il pouvait me rencontrer ce vendredi-là à Chicago. J'ai dit que je voulais lui offrir un café. Nous sommes restés debout pendant 24 heures, et je l'ai convaincu de retourner fabriquer des guitares électriques. »

Il est possible que le patron de CMI envisageait de retirer tous les instruments électriques du catalogue Gibson, mais nous n’avons aucune preuve que l'entreprise ait envisagé une mesure aussi drastique. Gibson a certainement négocié un nouveau contrat avec Les. Ils ont convenu de royalties à hauteur de cinq pour-cent du « coût standard » pour chacun des modèles Les Paul proposés, le prix auquel Gibson a vendu la guitare à CMI, soit environ un tiers du prix de vente au détail. Cela signifiait que pour une guitare cotée à 395 $, il recevrait environ 6,50 $.

La Gibson Gazette de 1968 faisant la promotion de la réédition des Les Paul. Photos par The Real Deal Guitar Shop.

Bruce Bolen, quant à lui, se concentrait sur le prototype de la prochaine réédition des Les Paul Custom, probablement vers la fin de 1967. « Les gens ne faisaient que d’en parler », dit-il en souriant. « Ils avaient hâte d'en avoir une. »

Gibson se réveille enfin et décide donc de réintroduire deux modèles : la Les Paul Custom à deux humbuckers, et la Les Paul Goldtop dans le style des années 1955-57, avec des micros P-90 et un chevalet Tune-o-matic. Les deux modèles sont officiellement lancés lors du salon NAMM de juin 1968 à Chicago. La Custom coûtait 545 dollars et la Goldtop (qu'ils appelaient la Standard) 395 dollars. Les Paul était présent et se produisait pour promouvoir les nouvelles guitares Gibson. Bruce Bolen se souvient avoir fourni la section rythmique pour les performances de Les. « C'était la première fois depuis des années qu'il montait sur une scène. On s'est beaucoup amusés.»

La page de publicité était intitulée « Daddy Of 'Em All ». Et on pouvait lire sous la photo : « La demande n’a jamais cessé. Et la pression pour en fabriquer davantage non plus. OK, vous avez gagné. Nous sommes heureux d'annoncer que de nouvelles Les Paul Gibson originales sont disponibles. Formulaires à remplir chez votre revendeur Gibson ».

Pendant ce temps, la production des nouvelles guitares Custom et Goldtop a commencé à Kalamazoo. Jim Tite, qui travaillait chez Gibson, avait annoncé un début de production en juin. « La relance de ces instruments répond à un besoin urgent », a-t-il déclaré. « Il ne sera bientôt plus nécessaire de chercher des modèles d'occasion qui se vendent aux enchères entre 700 et 1 000 dollars aux États-Unis ».

Selon Stan Rendell, il a fallu 90 jours pour que la première série de rééditions soit produite. 500 guitares on été fabriquées : 400 Goldtop et 100 Custom. « Au moment où nous avons commencé, CMI voulait 100 Goldtop et 25 Custom par mois, et avant d’avoir fini ça nous produisions également  une centaine de Les Paul par jour », dit-il. « Sur un total de 250, 300 instruments par jour. »

Finalement, Gibson a réussi son coup. Reste à savoir pourquoi la marque a attendu aussi longtemps pour le faire et pourquoi elle a choisi ces modèles en particulier. Pourquoi ne pas avoir tout de suite réédité la Les Paul sunburst avec humbuckers et avoir attendu tant d’années ? Nous en parlerons une prochaine fois.


À propos de l'auteur : Tony Bacon écrit sur les instruments de musique, les musiciens et la musique. Il est co-fondateur de Backbeat UK et de Jawbone Press. Ses livres comprennent : Million Dollar Les Paul, The Steve Howe Guitar Collection et Guitars : The Illustrated Encyclopedia. Tony vit à Bristol, en Angleterre. Plus d'informations sur tonybacon.co.uk.
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