Les accordages alternatifs de 8 guitaristes de légende

J’étais récemment en train de lire la fantastique autobiographie de Keith Richards « Life », quand un passage m’a frappé. Il y explique en quoi l’open de sol a donné à son jeu une nouvelle jeunesse. J’ai immédiatement accordé ma guitare en open de sol, et j’ai passé l’heure qui a suivit à essayer de jouer le mieux possible « Brown Sugar » et « Can’t Stand You Hear me Knocking ».

Les accordages open ne sont pas tout à fait une chose nouvelle pour moi, mais j’ai ressenti la même sensation de libération que décrit Richards. Toute personne s’étant déjà essayée aux accordages alternatifs connaît ce sentiment d’inconnu qu’ils apportent. Ils étayent les sens, attisent la créativité, et cassent la routine habituelle de l’accordage standard.

Afin de célébrer cette liberté apportée par ces accordages, j’ai pensé qu’on pourrait passer un peu de temps à explorer les accordages qui définissent le jeu de musiciens cultes.

Bien entendu, cette liste est loin d’être exhaustive, et les accordages alternatifs sont aussi vieux que la guitare elle-même. Toute une génération de Bluesmen ne jurait que là-dessus pour leurs techniques de slide et de picking, et leur style à été précurseur de la plupart des genres du siècle dernier.

Ceci étant dit, ce rapide tour, je l’espère, vous intriguera et vous incitera à essayer de nouveaux accordages vous-même. Sortez votre fidèle accordeur Reverb, et partagez votre expérience dans les commentaires.


Keith Richards – Open de Sol

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Pour commencer, Keith Richards en personne, et son fameux open de Sol. Bien que l’honorable Mr. Richards ait joué dans bien des accordages – dont l’open de Ré et de Mi qu’il a piqué à Don Everly – c’est l’open de Sol qui vient à l’esprit quand on pense à Keith Richards et aux riffs des Rolling Stones.

Keith raconte que c’est Ry Cooder qui lui a inspiré cet accordage, et cite une génération de Bluesmen qui, en passant du banjo à la guitare, y amenèrent leur accordage par la même occasion. En retirant la corde de Mi grave de sa guitare, la fameuse Telecaster de Keith, Micawber, est accordée comme un banjo. Même si les Rolling Stones devinrent de moins en moins un groupe de blues au courant des années 60, les accords et les structures utilisées par Richards gardèrent un lien étroit avec cette tradition.

Comme le décrit Richards à la page 243 de « Life » :

« La beauté, la majesté de l’open de Sol à cinq cordes sur une guitare électrique est que vous ne disposez que de trois notes – les deux autres ne sont que les mêmes, mais à l’octave. C’est accordé en Sol Ré Sol Si Ré. Certaines notes sont jouées en continu pendant toute une chanson, ajoutant un drone, et parce que c’est électrique, elles résonnent. Seulement trois notes, mais grâce aux différentes octaves, ça comble l’écart entre les basses et les aigües. Ça ajoute une belle résonance. En jouant en open, je me suis rendu compte qu’il y avait un tas d’endroits où on n’avait pas besoin de placer ses doigts. Les notes sont déjà là. On peut laisser sonner certaines cordes à vide. C’est en trouvant l’espace entre les graves et les aigües qu’on fait fonctionner l’accordage. Si on joue le bon accord, on peut déjà entendre celui qui suit, sans même le jouer… Il est juste là. Ça dépasse toute logique… Ça s’appelle la note de drone. Du moins, c’est comme ça que je l’appelle. »

Keith continue en expliquant à quel point cette approche a revigoré son jeu, comme s’il apprenait un nouvel instrument. C’est un sentiment et une expérience partagée par beaucoup de guitaristes qui s’essayent à un nouvel accordage, comme nous le verrons plus bas.


Joni Mitchell – Open de Ré

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Tout fan de Joni Mitchell s’offusquera à l’idée de résumer sa carrière de songwriter à un seul accordage. En effet, la chanteuse prolifique en à utilisé pas moins de 51 différents tout au long de sa vie, en changeant de tonalité grâce à un capodastre. Durant sa carrière, Joni a également changé la tonalité de beaucoup de ses chansons en concert, l’accordage exact et la position du capo peuvent donc varier.

Si vous voulez marcher sur les traces de Joni Mitchell, l’open de Ré est un premier pas indispensable. Souvent, vous verrez la même chanson transcrite en Mi, étant le même accordage un ton plus bas, ce qui requiert un placement de capo différent.

Avec cet accordage de base, vous pouvez jouer les parties de beaucoup de classiques des débuts de Joni Mitchell, dont « Both Sides Now » (capo 4), « Big Yellow Taxi » et « Chelsea Morning » (Capo 2 pour les deux).

Tout comme Keith Richards plus haut, Joni parle de sa découverte de nouveaux accordages comme de l’ouverture d’un verrou. « Une fois que je me suis mise aux opens, j’ai commencé à comprendre les sophistications harmoniques qui abreuvaient ma fontaine musicale intérieure, » raconte-t-elle dans une interview de 1986. « Une fois que je trouve des accords intéressants à jouer, l’écriture me vient automatiquement. »

Un article sur son site internet raconte plus précisément son expérience :

« On trifouille, jusqu’à trouver l’accordage. Alors, la main gauche doit apprendre où sont les accords, parce que c’est tout nouveau, non ? Alors on tâtonne, à la recherche des accords, utilisant des schémas très simples. Avec un accordage spécial, vous trouvez 4 accords immédiatement – avec les cordes à vide, en faisant un barré à la case 5, à la case 7, et à l’octave, à la 12e case. Après, il faut trouver où sont les accords mineurs, et où sont les couleurs intéressantes – c’est là que c’est intéressant. »

Joni utilise même son propre système de notation d’accordages, basé sur la hauteur des cordes par rapport à celle du dessous. Ça consiste à indiquer l’accordage d’une corde par rapport à l’endroit où sa note se retrouve sur la corde suivante. Par exemple, l’accordage standard donnerait Mi55545. L’open de ré se noterait Ré75435.


John Fahey – l’open de Do

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Fahey était également de l’école du blues, et disciple de Charley Patton, entre autres. Sa musique employait le lexique, les mécanismes et les accordages de la musique folklorique Américaine, créant un nouveau style, souvent appelé « American Primitive Guitar ».

Comme Joni Mitchell, Fahey a exploré un large éventail d’accordages durant sa carrière, et son intérêt pour de nouvelles approches constituait la moelle épinière de son école de jeu. S’il fallait choisir un accordage essentiel de Fahey, ce serait l’open de Do, allant du grave à l’aigüe : Do Sol Do Sol Do Mi.

On peut l’entendre sur des classiques de Fahey comme « Sunflower River Blues » et « Funeral Song For Mississippi John Hurt » parmi tant d’autres. Si vous allez sur le site web de John Fahey, vous trouverez une page intéressante de notes qu’il avait laissées à un ami, dans lesquelles il détaillait l’intérêt que ces accordages apportaient à son jeu.

En écoutant la discographie de Fahey, cet accordage créait une syncope dans les arpèges qui créaient les rythmes. Le son est pur et primitif, exploitant énormément le potentiel de l’instrument seul. C’est ça, l’American Primitivism, un style gratifiant pour tous ceux qui jouent au doigt./p>


Thurston Moore, Lee Ranaldo et Kim Gordon de Sonic Youth

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C’est probablement encore plus le cas qu’avec Joni Mitchell, essayer de résumer la musique de Sonic Youth avec un seul accordage semble très futile. Les pionniers du Rock « arty » ont su tirer parti d’innombrables accordages non-conventionnels, en mélangeant fréquemment plusieurs accordages dissonants de différents musiciens sur une même chanson.

Bien que les Sonic Youth aient été influencés par le punk, l’Avant Garde new-yorkaise des années 80, et les compositeurs expérimentaux comme Stockhausen ou Cage, selon l’histoire du rock indie de Michael Azerrad, « Our Band Could Be Your Life », le groupe trouva, pour leurs accordages, la plupart de leurs inspirations chez les artistes comme CSNY, Hot Tuna, Joni Mitchell, la folk traditionnelle et le blues. Azerrad cite Thurston Moore : « C’est juste que quand on joue tout le temps en accordage standard, on sonne assez… Standard. »

Son comparse Lee Ranaldo partage un point de vue similaire : « Quand on accorde une guitare d’une nouvelle manière, on redevient un débutant et on peut découvrir un tas de choses nouvelles… Ça nous a permis de désapprendre beaucoup de choses qu’on pensait savoir sur la guitare. »

La multitude d’accordages qu’utilisait Sonic Youth a causé toute sorte de soucis logistiques au groupe. Ils utilisaient des guitares bon marché qui ne pouvaient fonctionner que désaccordées d’une certaine manière, et sont connus pour l’usage des baguettes de batterie et autres tournevis sur leurs guitares pour obtenir des sonorités encore plus audacieuses.

Bien que beaucoup d’accordages aient défilé au cours de la carrière de Sonic Youth, l’accordage choisis ici est souvent revenu durant les décennies. On peut l’entendre sur des chansons comme « Stereo Sanctity » dans Sonic Nurse, et « Orange Rolls » de Dirty, et tout au long du Kill Yr.Idols EP.

Avertissement : cet accordage (comme beaucoup chez Sonic Youth) peut ne pas être faisable avec un set de cordes standard, et peut nécessiter différents tirants. Le site de Sonic Youth< regorge ‘informations utiles et détail beaucoup de leurs accordages, et il y a de grande chance que vous y en trouviez un à votre goût.


Curtis Mayfield – l’accordage « Black Key »

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Avec sa Fender à la main, Curtis Mayfield a aidé à élever le son soul funk dans les années 70. Il a sorti l’immensément influente bande son du film Super Fly en 1972, après des années en tant que guitariste, co-chanteur et leader du célèbre groupe de Chicago, The Impressions.

Mayfield était un arrangeur brillant et un mélangeur de genres. Ses parties guitares pour The Impressions ou sa carrière solo accentuaient parfaitement les arrangements de cordes, cuivres et percussions d’influence latine.

Son style musical métissé accompagnait des paroles évocatrices, socialement engagées, délivrées par des mélodies époustouflantes et des performances vocales sophistiquées. Il a directement influencé une génération de musiciens soul et funk, et ses chansons se sont retrouvées samplées par les Kanye West, Kendrick Lamar et autres grand noms du Hip Hop.

Pour faire tout ça, Mayfield jouait en open de Fa#. L’accordage était apparemment sensé correspondre aux touches noires du piano, sur lesquelles Mayfield s’acharnait quand il apprenait à en jouer.

Alors que lui et les membres de son groupe jouaient souvent sur des rythmes funk syncopés typiques des années 70, ses rythmiques à la main droite étaient en fait assez variées. Il pouvait faire reposer toute une montée instrumentale sur une Strat ou jouer un accompagnement léger derrière une partie plus vocale. Et pourtant, il était si habitué à jouer dans son propre accordage en Fa# qu’il était virtuellement incapable de jouer d’une guitare normalement accordée.


Robert Fripp – Le nouvel accordage standard

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Pour résumer, le but du « Nouvel Accordage Standard » (ou NST en langue originale) était de rapprocher la guitare d’un violon ou d’un violoncelle, et ainsi permettre de jouer des motifs classiques modernes dans une optique plus rock. Les cordes sont accordées en quintes, à l’exception de celle de Mi aigu qui est accordée en Sol, et non en Si.

Cet accordage élargi l’éventail de notes de la guitare, et comme l’accordage de Sonic Youth mentionné plus tôt, il faut être prudent en accordant votre instrument de cette manière. Une fois vos cordes ajustées, vous découvrirez un accordage unique et stimulant, disposant d’une grande richesse harmonique à chaque frette. En bonus, vous pouvez en profiter pour pratiquer vos gammes de mandoline ou de violon.

Fripp lui-même croyait tellement en cette méthode qu’il dispensa des cours à travers un programme appelé « Guitar Craft », dont le successeur « Guitar Circles » à directement convertit environ 3000 adeptes du NST.


Nick Drake – Do Sol Do Fa Do Mi

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Nick Drake mourut jeune sans avoir connu de succès commercial de son vivant. Mais après une redécouverte posthume des années plus tard, sa musique est devenue un modèle pour d’innombrables fans envoûtés par sa voix angélique, ses compositions incroyables, et peut-être plus étonnamment, son jeu de guitare.

Rétrospectivement, on résume souvent l’histoire de Nick Drake à la dépression et à l’isolement. Il n’a pas donné beaucoup d’interviews, et à ce qu’on sache, il n’existe pas de vidéos live de lui. Mais en se basant sur les informations dont on dispose, il semble qu’il ait été obsédé par le fait de jouer de la guitare et d’en explorer les subtilités, une exploration qui l’amena à se plonger dans les accordages alternatifs.

Sur l’obsédante « Cello Song » de son premier album, Five Leaves Left, par exemple, Drake avait désaccordé sa corde de Sol d’un demi-ton, vers le Fa#. C’est un changement subtil, mais il a rendu possibles les magnifiques arpèges qui rythment la chanson.

Alors que ses deux premiers albums étaient remplis d’arrangements instrumentaux supplémentaires (d’aucuns les considérerait de trop dans certains cas), son troisième album, Pink Moon, n’est composé que de Drake et sa guitare. La chanson titre de l’album reste l’une de ses plus célèbres, et est construite autour de l’accordage Do Sol Do Fa Ré Mi. Accordage également employé sur les populaires « Hazey Jane I » et « Place To Be », entre autres.

Faites sonner ces cordes à vides, et vous obtenez un Do sus 4. C’est la sonorité Nick Drake, et en faisant de simples barrés, et ajoutant quelques notes de passage avec votre annulaire, vous jouerez dans son style.


Skip James – Open de Ré mineur

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Comme presque tous les styles de musique populaire du 20e siècle, tout remonte au Blues. Cela va sans dire qu’on pourrait dédier un article entier, voire un livre sur le jeu du delta du Mississippi et les autres écoles du blues. Robert Johnson, Charlie Patton, et tous les monstres sacrés du genre utilisaient divers accordages en open, et aucun d’eux n’aurait créé leur musique sans l’énorme héritage qu’elle véhiculait.

Ceci étant dit, l’usage de l’open de Ré ou Mi mineur dans les années 20 et 30 était très populaire à Bentonia, Mississippi – une ville située à l’extérieur du delta. Certains considèrent « l’école du delta » comme une branche distincte du blues, bien que le débat ne soit pas clos.

Un grand nombre de différents musiciens de cette période ont enregistré des disques en utilisant ces accordages. Mais Skip James reste le plus célèbre d’entre eux. Son open mineur, combiné à sa voix aigüe envoûtante ont créé parmi les disques les plus hypnotiques de cette ère. Robert Johnson a aussi utilisé cet accordage, qui apparemment lui a été influencé par le travail de Skip James.

Si vous vous essayez à cet accordage, vous verrez que bien qu’il soit très simple de faire des accords mineurs, les accords majeurs ne sont pas compliqués à jouer non plus. Un accord joué comme un DoMaj7 à différents endroits du manche vous permettra d’imiter le style de jeu de Skip James.

Skip James fut l’un des pionniers du blues à vivre suffisamment longtemps pour assister au revival dans les années 60, amenant un regain d’intérêt pour son travail. C’est ainsi qu’on peut trouver quelques pépites sur Youtube, extraites de ses apparitions à la télé, à la fin de sa vie. Ces vidéos, comme celle ci-dessous, sont essentielles pour apprendre à jouer avec l’accordage fétiche de Skip James, ou pour entendre une performance sublime de blues.


Quels sont les accordages qui vous inspirent ? Faites le nous savoir dans les commentaires.

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