L’enregistrement de Sgt. Pepper’s : interview inédite en compagnie de George Martin, Geoff Emerick, et Ken Townsend

Note de la rédaction : cet article fait partie d’une série d’entretiens inédits tirés des archives personnelles de l’écrivain Tony Bacon. Ces interviews seront publiées sur Reverb au fil des mois.

Consultez notre fil d’actualité pour être informé de la publication des futures interviews. Vous pouvez d’ores et déjà consulter les interviews de Tony en compagnie de Tom Petty et Chet Atkins.

Il y a cinquante ans, l’album Sgt. Le Pepper’s Lonely Hearts Club Band figurait en première place des charts britanniques et américains. Les Beatles ont enregistré l’album dans les studios EMI à Abbey Road, dans le nord-ouest de Londres, de fin novembre 1966 à début avril 1967, avant la sortie officielle de l’album en juin 1967. Sgt. Pepper’s n’aura pas seulement été un énorme succès commercial et une œuvre d’art à part entière, il aura également popularisé l’idée de l’album concept.

Ouvert en 1931 par EMI, Abbey Road fut utilisé comme studio d’enregistrement dès sa création. En 1967, on y trouvait trois studios, dont le Studio Two, lieu d’enregistrement principal des Beatles. Dans la salle de prise (18 x 11,5 mètres avec une hauteur sous plafond de 9 mètres) se trouvait un long escalier en bois menant à la régie, perchée derrière une vitre, d'où les producteurs et les ingénieurs du son pouvaient observer les musiciens se trouvant juste en dessous. Parfois, les Beatles utilisaient le Studio One, la plus grande salle d’Abbey Road (environ 29 x 17 mètres avec une hauteur sous plafond de 12 mètres), conçue pour les enregistrements classiques et lyriques, et, plus rarement, le Studio Three (environ 12 x 9 mètres avec une hauteur sous plafond de 5 mètres).

À l'occasion de la première sortie de Sgt. Pepper's sur CD en 1987 (une année marquant également le 20e anniversaire de l’album), j’ai pu interviewer le producteur George Martin, ainsi que les ingénieurs du son Geoff Emerick et Ken Townsend, et revenir avec eux sur la création de l’un des albums les plus célèbres des Beatles.

Geoff, est-ce que vous pouvez me parler du matériel d’enregistrement utilisé pour enregistrer Sgt. Pepper's à Abbey Road ?

Geoff Emerick : il n'y avait pas de matériel modifié. Il s'agissait essentiellement d’une console de mixage standard EMI REDD, (huit entrées, quatre sorties et deux faders). On a également utilisé des magnétos 4 pistes Studer. Avant ça, on utilisait du matériel EMI (les Beatles n'ont eu accès aux 8 pistes d’Abbey Road qu’au moment de l'enregistrement du White Album l'année suivante, en 1968.)

Magnétophone Studer à Abbey Road

GE : EMI était assez strict, tout comme la BBC, sur les spécifications techniques. À l’époque, le rôle de l’ingénieur du son était de respecter ces spécifications. Il y avait certaines choses que vous pouviez faire et certaines choses que vous ne pouviez pas faire. Si quelque chose tapait dans le rouge (sur un des VU-mètres de la console), il fallait refaire la prise, ce qui parait un peu exagéré aujourd’hui. Mais avec les Beatles, c’était différent, nous disposions d’une plus grande marge de manœuvre. Par exemple, j’ai pu expérimenter différents placements de micros, mais dans tous les cas, il fallait rester prudent.

Je me souviens avoir reçu un jour une lettre d'EMI par rapport au micro de la grosse caisse : ils détestaient l'idée de placer un micro aussi proche d'un instrument produisant une pression d'air aussi élevée, car ils pensaient que cela pouvait détruire la capsule du micro.

EMI voulait aussi vous voir travailler en costume-cravate.

GE: Ce que nous faisions (rires), bien sûr, pendant toute cette période.

Les Beatles étaient un peu plus à la cool, vers 1967.

GE : Oui mais il y avait vraiment des groupes qui arrivaient en costume-cravate.

Mais vous rigoliez bien avec tout le monde, Geoff… peu importe la façon dont ils étaient habillés.

GE : En y repensant, c'était un bon entraînement. Mais je ne sais pas si on peut vraiment parler de rigolade. Les ambitions d’EMI étaient extrêmement élevées, en tant qu’ingénieur du son, je pouvais travailler avec un artiste le matin, un autre l’après-midi et un autre le soir : c’était comme ça que ça fonctionnait. Il m’est même arrivé d’enregistrer deux ou trois artistes en même temps.

Comment se passaient les sessions d’enregistrement à cette époque, Geoff ?

GE: Les Beatles commençaient toujours une session avec une idée de morceau. En temps normal, une fois le morceau enregistré, on passait au suivant. Mais il nous arrivait parfois de commencer à enregistrer sans aller jusqu’au bout et de passer à un autre morceau, soit parce qu’il manquait un solo, soit parce qu’un couplet n’avait pas encore été écrit.

Geoff Emerick et Paul dans la salle de régie à l’EMI.

Nous commencions en général par la piste rythmique de base tard dans l’après-midi, vers 15 ou 16 heures, pour finir vers 2 ou 3 heures du matin. C’était un rythme assez inhabituel pour les équipes d’EMI et de ce fait, nous étions souvent seuls. Nous faisions tout pour terminer d’enregistrer la piste rythmique principale, en enchaînant les prises jusqu’à la bonne. Ce qui signifiait devoir parfois rembobiner la bande pour refaire une nouvelle prise. Normalement, on aurait dû faire trois à quatre prises, il arrivait pourtant qu’on en fasse une vingtaine si cela était nécessaire.

Sur « Lovely Rita », le solo posait problème. Je leur ai alors suggéré de faire un solo au piano. Je ne me souviens pas si c’est George ou Paul qu’il l’a joué, je pense que c’était Paul. Ils en avaient marre d’utiliser tout le temps des guitares pour les solos. J'avais l'habitude d'utiliser un delay à bande dans l'écho, enregistré sur bande, puis repassé dans l’echo plate (écho à plaque), mais en même temps, je faisais vibrer la bande qui émettait une grande quantité de wow et de flottement, de sorte que le signal soit transmis dans la chambre d'écho avec des variations de pitch. On enregistrait ça comme un overdub.

Mais en règle générale, nous commencions par enregistrer la basse, puis la batterie, la guitare ou le piano. Généralement, on remplaçait ensuite la partie basse par un overdub. Toute la batterie allait sur une seule piste (il n'y avait pas de batterie stéréo.). La guitare et le piano sur une autre piste. Ensuite, on ajoutait parfois des parties de guitare et de piano sur une piste, ou on mélangeait la guitare, le piano et la batterie sur une autre piste, ce qui nous donnait trois pistes, dont une pour l’overdub de basse. Le chant allait lui sur la quatrième piste.

Je me souviens avoir enregistré la basse, on a toujours adoré enregistrer la basse. Pour moi, la basse est comme la colonne vertébrale d’un album, et obtenir le meilleur son de basse de tous les temps a toujours été un défi. Pour chaque disque que nous avons enregistrés, notre ambition était toujours d’obtenir « le meilleur son de basse ». L’une de nos théories était qu’au lieu d’utiliser un micro pour enregistrer la basse, il fallait utiliser un haut-parleur. Un haut-parleur est capable de retranscrire le son, il doit donc être aussi capable de le capturer. Et c’est ce qu’on a fait, en plaçant un autre haut-parleur devant l’ampli basse. Le résultat était plutôt pas mal, même si ce n’était qu’un essai.

George, pour gagner de la place sur un 4 pistes, il est possible de mixer plusieurs pistes sur une seule piste à part et de recommencer ? Ce que vous appeliez chez Abbey Road une réduction.

George Martin : Oui, mais nous ne l’avons pas beaucoup fait. Je ne pense pas que nous ayons un jour dépassé le simple doublage. Parfois, nous devions recommencer, mais dans l’ensemble, j’essayais de m’en tenir là.

Et puis sur « A Day In The Life », vous avez utilisé deux magnétos 4 pistes en même temps pour avoir assez de place pour enregistrer les Beatles et l’orchestre. Geoff, vous pouvez m’en dire plus ?

GE : On pourrait penser l’inverse, mais les bases du morceau « A Day In The Life » ont été enregistrées assez tôt, sur un 4 pistes comme d'habitude. La partie orchestre a été enregistrée quelques semaines plus tard, sur un deuxième 4 pistes.

The Beatles - A Day In The Life

George, vous n'avez pas eu du mal à faire fonctionner les deux magnétos 4 pistes en même temps ?

GM : Nous n’avions pas d’aide à la synchronisation à cette époque-là, car ça n’existait tout simplement pas. Nous avons donc dû faire avec les moyens du bord. Nous avons enregistré l’orchestre sur une piste séparée, que nous avons ensuite réinsérée. Si vous écoutez, vous pouvez entendre plusieurs versions de l’orchestre, toutes légèrement différentes les unes des autres.

On l’avait probablement recalé manuellement dans le 4 pistes.

GM: Cela a été fait manuellement, ou, comme dirait Peter Sellers : « En d’autres termes, une fois par an ». (George a produit des disques avec Sellers, en solo et au sein du groupe The Goons.)

Il n’y avait eu aucun recours à l’électronique pour assurer la synchronisation ?

GM: Non, c'était la seule façon de faire à cette époque. Nous n'avions aucun moyen de synchroniser autrement.

Est-ce que vous vous en souvenez, Geoff ?

GE : D’avoir relié les deux magnétos Studer, oui. C'était une erreur. Nous ne pouvions pas les synchroniser comme nous les synchronisons aujourd'hui (en 1987). Nous avons enregistré l'orchestre sur un second 4 pistes. À l'époque, Ken était responsable de la maintenance à Abbey Road, et il savait toujours comment procéder.

C’est exact, Ken ?

Ken Townsend : À l’époque, j’étais ingénieur technique à Abbey Road, et c’est George Martin qui m’avait demandé de faire ça. George m'a énoncé le problème : on n’a pas de 8 pistes, alors est-ce que tu peux me trouver un moyen de relier les deux machines ensemble ? Les Beatles étaient sur un 4 pistes, et je pense que nous avons enregistré trois ou quatre pistes orchestrales sur le deuxième 4 pistes. J'ai ajouté un signal de 50 Hz sur la première machine, celle avec le backing, et j’ai ensuite fait en sorte que ce premier magnéto puisse piloter le second (sur lequel était l’orchestre) directement via le moteur du cabestan de cette deuxième machine.

Photo de DAVID MAGNUS/Shutterstock

Puis, au moment du mixage, George devait démarrer les deux machines ensemble de manière synchronisée. C'était la première fois que ces machines étaient reliées ensemble. Nous avons enregistré dans le studio One, mais nous avons mixé dans le studio Three. Or, nous avons utilisé deux machines totalement différentes au moment du mixage et ça a posé problème. Nous avons utilisé exactement le même système, mais le problème était de les démarrer manuellement.

Vous pouvez placer un marqueur sur deux machines pour permettre à la première de démarrer la seconde, mais deux machines différentes ne démarreront pas instantanément. Ce n’est pas comme le Q-lock d’aujourd’hui (1987). Ces deux machines étaient donc liées électroniquement, mais elles devaient être démarrées manuellement et nous devions nous assurer qu'elles allaient démarrer au bon moment. Une fois qu’elles étaient calées, c’était bon. Mais nous avons utilisé ce procédé uniquement sur « A Day In The Life »

GE : L’idée, pour la partie orchestrale du morceau, était de commencer sur une note donnée et de finir sur une autre note un certain nombre de mesures plus tard. Pour obtenir le bon rythme, Mal Evans (le technicien) a compté un, deux, trois, jusqu'à arriver à la mesure en question puis il a programmé un réveil pour nous avertir du moment où on pouvait enregistrer. On ne devait pas entendre le réveil à la base, mais c’est le cas sur l’enregistrement, il a été repris par les haut-parleurs.

Sur « Good Morning Good Morning », les cuivres ont un son brillant et incroyablement percutant. Comment avez-vous obtenu ça, George?

GM : Nous nous sommes efforcés d’obtenir un son très puissant et Geoff a eu beaucoup de mal à ce sujet. C'était les cuivres de Sounds Incorporated, et ils jouaient déjà très fort. Évidemment, nous étions limités. Je suppose que cela venait de l’utilisation du Fairchild par Geoff. Je suis d’accord avec toi, le son est très percutant, mais cela tenait en grande partie au groupe. Ils nous ont vraiment bousculés, ce qui était inhabituel pour l'époque.

GE : Les limiteurs et les compresseurs Fairchild ont un son incroyable. Vous pouvez y insérer une guitare ou une voix sans que celle-ci ne soit réellement limitée ou comprimée et donner l’impression qu’elle soit beaucoup plus proche.

Les commentaires du livret du CD (1987) indiquent que le Studio One d’Abbey Road a été utilisé pour le morceau « Sergent Pepper’s Lonely Hearts Club Band (Reprise) », alors que le Studio Two a été utilisé pour la majeure partie de l’album. Vous vous en souvenez, George ?

GM : La plupart des morceaux de Sgt. Pepper’s ont été enregistrés dans le Two. « A Day In The Life » a été enregistré dans le Studio One et « When I’m Sixty-Four » aussi, ce qui peut sembler un peu exagéré pour trois clarinettes. Je ne sais pas pourquoi « Reprise » a été fait là-bas plutôt que dans le Two. Il est tout à fait possible que nous ne puissions pas accéder au Studio Two à ce moment-là. Je sais que « Reprise » a été enregistré vers la fin, et les Beatles et moi tentions de chasser les gens des studios, en leur mettant la pression, en leur disant : écoutez, on doit terminer, ça vous dérangerait de changer de studio ?

Il se peut qu’à ce moment-là, seul le Studio One était disponible, c’est l’explication la plus probable. Geoff et moi avons probablement dit : faisons-le dans le One, ça va la faire. Et en fait, je ne pense pas que ce soit une mauvaise chose. Je pense que cela a contribué à créer l'atmosphère de « Reprise », à l'ambiance qui s’y dégage. Ce n’était pas calculé.

Studio Two d'Abbey Road

GE : Le morceau principal « Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band », celui qui ouvre l’album, a été enregistré dans le Two, mais l’autre version « Reprise » a été enregistrée dans le grand studio One. Et oui, je pense que c’est parce que quelqu'un d'autre utilisait le Two, et que c'était l'un des rares cas où ils ne pouvaient pas accéder à ce studio. Cela a-t-il créé une différence ? En tout cas, moi ça m’a plu. Je pensais que c'était plus difficile, car le studio One est énorme et la batterie résonnait partout dans la pièce. Mais le son est vraiment bon, mordant.

Les commentaires du livret du CD indiquent également que l’enregistrement de « Fixing A Hole » a débuté au studio Regent, un petit studio indépendant situé dans le centre de Londres. George, je ne savais pas que les Beatles enregistraient ailleurs qu’à Abbey Road.

GM : Eh bien, ce n’était normalement pas le cas. Je crois que les garçons ne s’étaient pas vraiment organisés sur ce coup-là, et quand ils ont voulu enregistré, ils ne m’ont pas prévenu en disant « Rends toi disponible les deux semaines qui suivent, car nous allons sûrement avoir besoin du studio ». A la place, ils m’ont téléphoné à 10 heures du matin en disant : « On veut enregistrer ce soir à sept heures… ok ? » Et c’était à moi de me débrouiller pour leur trouver un studio libre.

GE: C’est vrai. D'après mes souvenirs, George et moi faisions un autre album à ce moment-là, et les Beatles voulaient continuer à travailler. La seule chose à faire était donc d'aller enregistrer dans un autre studio, ce qu'ils ont fait. George et moi travaillions sur Cilla Black, ou quelque chose comme ça.

Qui vous a remplacé ?

GE: Eh bien, j’imagine que c’était Paul. Si ce genre de situation se présentait, c’est Paul qui gérait.

George, pouvez-vous rappeler d'autres moments où vous n'étiez pas disponible pendant l’enregistrement de l’album ?

Sir George Martin avec les Beatles (Photo de thebeatles.com)

GM : Oui. Dave Harries (un autre ingénieur du son d'Abbey Road) m'a rappelé que ni Geoff ni moi n'étions présents au début de l’enregistrement de « Strawberry Fields Forever ». Le morceau devait figurer sur l’album Sgt. Pepper’s, tout comme « Penny Lane ». D’ailleurs ça s’entend, non ? (Les deux enregistrements ont commencé à la fin de l’année 1966, et sortirent sous forme de double face A en février 1967 et n’apparaissaient pas sur l'album.) Quoi qu’il en soit, c’était encore une de ses fois où les Beatles ont dit : écoute, on sera à huit heures au studio, ok ?

Geoff et moi allions assister à un concert de Cliff Richard à 19 heures. Alors on a dit à John qu’on ne pouvait pas être là. Il a dit : « On va commencer sans vous et vous nous rejoignez quand vous pouvez. On a dû arriver vers 22 h 30, 23 h. La seule personne disponible était ce pauvre vieux Dave Harries, l’ingénieur de maintenance, qui travaillait dans les coulisses. Il a dû installer les micros et faire ce qu’il pouvait jusqu'à ce que nous arrivions.

Avez-vous enregistré d'autres choses qui n'ont pas été utilisées pour l'album ?

GM : On a enregistré le morceau « Only A Northern Son », pendant la période Pepper, mais, pour des raisons évidentes, nous ne l’avons pas mis (rires) dans l’album. Il a été mis de côté jusqu’à ce que les garçons disent : ça sera très bien pour Yellow Submarine. Pour eux, Yellow Submarine était comme un parent pauvre. Ils y ont mis tous les titres dont ils étaient les moins fiers.

Un grand nombre d’ingénieurs du son ont été crédités sur « Getting Better » (sur la version CD, sortie en 1987) : Malcolm Addey, Ken Townsend, Geoff Emerick, Peter Vince, Graham Kirkby, Richard Lush et Keith Slaughter. Pourquoi, George ?

GM: C’est surprenant. Je ne comprends pas ce que Ken fait là.

KT : Je suis crédité parce que Malcolm Addey avait l’habitude de rentrer chez lui à minuit. Il fallait donc quelqu’un pour le remplacer. J'ai pris le relais pour continuer jusqu’à trois ou quatre heures du matin à deux ou trois occasions. Le nombre d'ingénieurs crédités est dû au fait que le morceau a été enregistré en plusieurs sessions sur plusieurs nuits. En général, si l’ingé son habituel était absent, on faisait une pause. Mais Malcolm Addey a dit à minuit : « Ok, je rentre chez moi. » Et il m’est donc arrivé de prendre la suite deux ou trois fois.

A l’époque où Sgt.Pepper’s était enregistré (fin 1966/ début 1967) vous étiez toujours employé d’EMI, George?

GM : J’étais parti. J’ai quitté EMI en septembre 1965, je n’étais donc plus là-bas depuis un an, mais je continuais à travailler ailleurs. Nous venions de lancer AIR (Associated Independent Recording est la société créée par George avec un autre producteur de l’EMI, John Burgess, en 1965.) AIR a débuté timidement, avec quatre producteurs et trois filles, on n’avait pas vraiment d’argent. On avait des bureaux à Baker Street, presque en face de l'endroit où les employés d'Apple ont ouvert plus tard. Nous étions au dernier étage, au-dessus d'une banque. On n’avait pas pu démarrer le chantier du studio (à Oxford Circus) à cause du manque d’argent. J'ai commencé les travaux du studio en 1968, un an et quelques après l’enregistrement de Sgt Pepper's.

Et sur votre relation avec EMI lorsque vous avez commencé Pepper?

GM : En ce qui concerne Abbey Road, ma relation avec EMI est restée la même. J'y ai grandi et y ai vécu toute ma vie, tous mes amis étaient là et j'étais là. Même si je n’apparaissais pas sur la fiche de paie.

Est-ce que cela a influencé votre comportement ?

GM: Pas du tout. Pas sur mon travail en studio. En ce qui concerne l’entreprise elle-même, j'étais un peu franc-tireur donc ils étaient heureux de s'être débarrasser de moi.

GM : Ils ont beaucoup essayé de me persuader de rester. C'était dur. L'entreprise AIR me causait pas mal de soucis à cause de l’argent. Il fallait payer les factures et espérer que l'argent entrerait. Les autres producteurs, Peter Sullivan (de Decca) et Ron Richards (d'EMI), faisaient des disques et tout l’argent partait dans l'entreprise. Nous n’avons rien gagné du tout à cette époque. Mais l’ambiance était bonne et je n'avais aucun problème avec mes collègues au sein du studio, car nous étions tous amis.

The Beatles - Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band (Take 9 And Speech)

Avez-vous pris plus de temps à l'époque pour mixer l'album mono par rapport au stéréo ?

GM : En général, les Beatles mixaient le mono avec nous et Geoff et moi mixions la stéréo tout seuls, une fois que les garçons étaient rentrés chez eux. Au moment du projet Pepper, les garçons étaient beaucoup plus intéressés par la stéréo. Ils ont vraiment commencé à s’y mettre, mais pas autant qu'ils l'ont fait par la suite.

GE : Nous avons très certainement mixé approximativement au fur et à mesure. Mais tout le mixage a été fait à la fin et je me souviens que cela nous a pris trois semaines pour mixer Sgt. Pepper’s en version mono, qui était la version prévue. La stéréo en Angleterre n’était pas encore très courante.

GM : C’est vrai, la stéréo n’était pas importante dans les années 60, vraiment pas. Aujourd’hui, les gens ont du mal à comprendre comment on travaillait avant, comment les gens écoutaient leurs disques à la maison, avec un équipement audio vraiment pas terrible.

GE : Quoi qu'il en soit, les Beatles sont partis en vacances et il me semble que George et moi avons mixé la version stéréo en trois jours. Donc, le disque (vinyle) à avoir est la version mono.

Le CD (1987) est uniquement valable en stéréo.

GE : Oui mais c’est pas grave. Le son est plutôt bon, au final. C’est difficile de faire sonner deux guitares électriques différemment quand elles sortent d’un seul haut-parleur, c’est beaucoup plus facile d’avoir une guitare dans un haut-parleur et une dans l’autre. Quand elles sortent du même haut-parleur, vous devez obtenir des sonorités vraiment différentes pour chaque guitare, et pouvoir identifier leur singularité. Et cela prend énormément de temps au mixage.

George Martin et Ringo remettant son
Grammy à Geoff Emerick pour Sgt. Pepper.

Donc, la version mono est celle qu'il faut avoir. La version mono correspond à la manière dont les Beatles ont conçu l’album, car ils étaient présents, ce qui donne un résultat plus poussé, contrairement à la version stéréo, en raison du fait de n'avoir que quatre pistes, avec tous les échos sur une piste par exemple.

Est-ce que vous avez un morceau préféré ? Pour vous en tant que producteur, George ?

GM : Je suis content d’avoir participé au titre « Being For The Benefit Of Mr. Kite! » car je pense y avoir vraiment contribué. J'aime beaucoup ce morceau. J'aime beaucoup « She’s Leaving Home », un super morceau ... même si (rires) je n'ai pas écrit la partition. (L’arrangement pour cordes a été écrit par Mike Leander). Et bien sûr, je suis très fier de « A Day in The Life ». Je suis toujours étonné que la BBC l’ait censuré. Ils l'ont interdit un mois avant sa sortie. Quelqu'un l’avait écouté et avait dit : « On ne va pas passer ça, c’est horrible. » Difficile à croire, non ?

GE : Au moment de l’écriture de « She’s Leaving Home », George était pris par sa session avec Cilla Black. Paul ne voulait pas attendre George, je ne sais pas pourquoi. Du coup, je pense que Mike Leander est allé chez Paul. En général, Paul a tout dans la tête et se met au piano. L’arrangement est réussi.

C’était plus difficile de trouver des musiciens de session, vous pouviez vite vous retrouver avec un orchestre vraiment pas terrible. On sent toujours quand les gens jouent bien ou mal. À l'époque, chez EMI, on trouvait toujours un orchestre au studio One, Three et au Two. Aujourd’hui (1987), il y a un orchestre par mois.

La composition du morceau « Kite » a débuté avec une batterie, une basse, un harmonium et la voix de John, avant que celui-ci vous demande de créer une « ambiance de cirque », George, et c’est comme ça que vous avez trouvé des disques d'archives contenant des orgues forains, etc que vous avez ensuite transféré sur bande. Geoff, je crois qu'on vous a ensuite demandé de couper les bandes, de les jeter en l'air pour les mélanger et de les assembler plus ou moins au hasard… d’où le son tourbillonnant qu’on peut entendre dans le disque.

GE : En fait, ça ne représente qu'une petite partie de l’effet. Pour le son de fête foraine sur « Kite », il a fallu faire rentrer un overdub énorme, en travaillant avec 4 pistes, il ne nous restait qu'une seule piste pour faire tous les overdubs. Je pense que George Martin jouait de l'harmonium, quelqu'un jouait du glockenspiel, quelqu'un jouait un autre piano, quelqu'un tournait la bande rapidement, la ralentissait, et nous devions faire tout ça en même temps.

Je me souviens que George s’est senti mal et s’est effondré sur le sol, parce qu’il avait joué de l’harmonium pendant environ quatre heures. On a terminé vers 2 heures du matin, alors qu’on avait commencé l’après-midi précédent.

Y a-t-il d'autres morceaux qui sortent du lot pour vous Geoff ? Et comment placez-vous cet album par rapport aux autres sur lesquels vous avez travaillé avec les Beatles ?

GE : C’est toujours mon préféré. J’en ai gardé de très bons souvenirs. « Within You Without You » est un de mes morceaux préférés. C’était la première fois que nous utilisions des techniques pop pour enregistrer des tablas. Nous n’avions jamais placé des micros devant ces instruments avant. Même chose avec le sitar et le tamboura.

The Beatles - Lucy In The Sky With Diamonds (Take 1 / Audio)

Il n'y avait rien dans le manuel EMI à ce sujet ?

GE : Non (rires). Je me souviens qu'après avoir enregistré « Within You Without You », environ un mois plus tard, nous étions à Abbey Road pour enregistrer un album et l'ingénieur du son enregistrait un sitar avec des micros placés à environ 10 mètres de distance. Ils ne comprenaient pas pourquoi ils ne pouvaient pas bien l’entendre. Pour Sgt Pepper, les micros se trouvaient essentiellement à l’intérieur du sitar. Il y avait vraiment une bonne ambiance de travail. En travaillant pour Pepper, nous recherchions toujours quelque chose de différent. Entrer vraiment à l’intérieur des instruments.

Si vous vous écoutez marcher autour d’un instrument ou que vous mettez votre oreille à côté de lui, vous entendrez un son incroyable. Si vous placez votre oreille près du bord d’une cymbale, la note est si basse, c’est impossible de penser qu’une cymbale peut émettre cette note en particulier. Nous avons essayé de travailler comme ça.

George, est-ce qu’il y avait plusieurs titres provisoires pour Sgt. Pepper ?

GM : Non, enfin, pas que je me souvienne. Il n’y avait jamais de titres provisoires pour les albums. En revanche, c’était le cas pour les morceaux. S'il n’y en avait pas, on disait : et si on l’appelait « Scrambled Eggs » (le titre provisoire de « Yesterday »). Jamais pour un album. Et le titre n’a été trouvé qu’à la fin de l’album. Les gens disaient : alors, comment on l’appelle ? On arrivait toujours à quelque chose de bien. Dans le cas de Pepper, on a trouvé presque avant la fin, à cause de la manière dont tout s’imbriquait ensemble.

Comment avez-vous fait pour transférer les bandes de Sgt. Pepper sur CD (en 1987)?

GM : Je ne suis pas intervenu sur cette partie. Tout ce que j'ai fait, c'est approuver. J'ai écouté les bandes sous leur forme originale et vérifié qu'elles étaient bien transférées et que les caractéristiques d'EQ convenaient au CD. C’est tout. Je ne voulais pas intervenir dans le mixage. Mais nous avons réintroduit le même effet que lorsque le disque arrive en fin de sillon et le 15 KHz pour les chiens.

Sur un CD, il n’y pas de fin de sillon qui correspond à une fin de face, donc je me suis dit qu’il fallait faire comme si c’était un vieux disque. On peut donc entendre cet effet pendant quelques secondes avant qu'il ne redémarre. On l’entend en boucle environ neuf ou dix fois, puis il s'estompe.

Ce qui est suffisant pour tout le monde.

GM: Oui (rires), et il est toujours possible de programmer son lecteur CD pour ne pas le l’entendre.

J’imagine que vous vous êtes amusés pour reproduire le son de fin de sillon du vinyle original ?

GM : Oui, c'était juste après avoir fini de tout mettre en forme, nous étions tous surexcités. Je crois que c'est John qui a suggéré l’idée d’ajouter le son pour les chiens… parce que les animaux n’ont pas la même perception du son. Comme il savait que les chiens pouvaient entendre des sonorités plus aiguës que les êtres humains, on s’est dit que 15 kHz, c’était pas mal. Le bruit à la fin, sur le sillon de sortie, c’était juste pour rigoler. Pourquoi ne pas faire un truc pour ceux qui ont des lecteurs non-automatiques où la tête de lecture ne sort pas quand elle arrive dans ce fameux sillon de fin ? C’était simplement pour l’idée que si quelqu'un s’en rendait compte, il aurait un choc. Une blague somme toute triviale.

GE : Nous avions pratiquement terminé l’album, le groupe partait en vacances le samedi ou le dimanche suivant, et comme l’adrénaline était retombée et que nous avions fini, nous avons eu l’idée d’ajouter ce son à haute fréquence destiné aux chiens ainsi que les voix à l’envers. Ils sont venus au studio et on a enregistré tout ce qui leur passait par la tête.

Ken, dans le descriptif du CD (1987), le coût de production de Sgt. Pepper’s est estimé à 25 000 £. Pourquoi une telle somme ?

KT : Il me semble qu’à l’époque, l’enregistrement coûtait environ 25 £ l’heure pour un 4 pistes. Je suppose qu'ils ont ensuite ajouté le coût des musiciens, dont le nombre était assez élévé, notamment sur « A Day In The Life ».

Qui a travaillé le découpage du master pour le pressage vinyle?

GE : À Abbey Road, le découpage était effectué par Harry Moss. Je me souviens que, sur la boîte du master, j’avais écrit « transfer flat » ce qui veut dire pour l’ingénieur du son qu’il ne devait pas altérer l’équalisation ni compresser quoi que ce soit. Tout ça parce qu’à l’époque, nous n’avions pas de matériel sophistiqué pour travailler sur le découpage du master destiné au pressage vinyle. Mais nous ne voulions en aucun cas que cela interfère. Et j'ai été réprimandé pour ne pas avoir ajouté « s'il vous plaît » dans mon petit mot qui figurait sur la boîte.

The Beatles

Vous avez donc assisté à la finalisation de ce master ?

Oui, j’avais une autorisation spéciale.

George, quel regard portez-vous aujourd’hui sur l’album (1987) ?

GM : Eh bien, je l’ai réécouté récemment en raison de sa sortie sur CD. Je ne l’avais pas beaucoup écouté. J'ai trouvé ça fascinant, en particulier le fait de décortiquer les pistes et d'écouter certaines 4 pistes, des extraits et d’autres choses ajoutées. C'était fascinant. C'est fascinant d'écouter quelque chose que vous avez fait il y a 20 ans. Je suis très content de sa résistance au temps.

Je pense qu’il y a certaines choses que je ferais différemment aujourd’hui. Je laisserai un écart beaucoup plus long entre la fin de « She’s Leaving Home » et de « Being For The Benefit Of Mr. Kite! » C’est une chanson si poignante, « Kite » arrive trop brutalement. En écoutant le CD, j'entends le « hiss » des enregistrements qui étaient utilisés pour doubler les effets sonores de « Good Morning ». Ils ont été retirés du disque vinyle. On n’y fait pas attention sur le vinyle de Pepper, mais sur la version CD, aïe ! Désolé pour ça, les gars.

À propos de l'auteur : Tony Bacon écrit sur les instruments de musique, les musiciens et la musique. Il est cofondateur de Backbeat UK et de Jawbone Press. Ses livres incluent : The Ultimate Guitar Book et London Live, et différentes éditions de Beatles Gear. Son dernier livre est intitulé Electric Guitars : Design And Invention (Backbeat). Tony habite à Bristol, en Angleterre. Plus d'infos sur tonybacon.co.uk.

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