Bob Rock revient sur l’enregistrement du « Black Album » de Metallica

James Hetfield and Kirk Hammett of Metallica. Photo by: Pete Cronin. Getty Images.

Le 12 août 1991 marque le jour de la sortie du plus important album de Metallica : un LP éponyme, plus connu sous le nom de « Black Album ».

La route du succès a été longue pour le groupe, sortant de l’underground avec Master of Puppets en 1986. Avec leur album de 1988, …And Justice for All, Metallica entra en top des charts pour finalement en atteindre le sommet avec le Black Album, gardant la tête pendant un mois, et s'écoulant à 16 millions d’exemplaires.

Avec le Black Album, Metallica sortirent de leur zone de confort en se tournant vers un nouveau producteur, Bob Rock. Les trois opus précédents avaient été produits par Flemming Rasmussen. Bien que le choix de Bob Rock ait pu étonner plus d’un fan, ayant produit des groupes de Hard Rock commerciaux comme Bon Joni sur l’album Slippery When Wet, il s’avérera être le meilleur choix iconoclaste que le groupe aurait pu faire.

Rock arriva aussi à un moment où Metallica avaient besoin de changement. Le groupe avait fait le tour des chansons ultras techniques et ultra longues pour Justice, et souhaitait prendre une direction plus simple et épurée. S’ils cherchaient à sortir un album plus commercial, pouvant atteindre un plus large public, le Black Album était la bonne méthode.

Bob Rock avec Metallica

Pourtant, Rock insiste sur le fait qu’il n’y ait jamais eu de discussion pour rendre l’album plus calibré pour MTV et la radio, ou pour rencontrer un plus large public. « Personne n’a dit ‘ Voilà ce qu’on veut ’ », explique Rock. « C’est tout un processus, et on arrive à un certain point. Rien de tout ça n’est conscient, il n’y avait pas de concept, on s’est juste mis d’accords sur le son. Je les ai aidés à faire l’album qu’ils voulaient faire, c’est tout. J’ai apporté mon expertise et ma vision des choses, mais c’était collectif. Je crois que la seule règle était qu’on ne ferait pas de compromis à moins d’être tous d’accord. »

Comme l’a résumé Lars Ulrich à l’auteur Craig Rosen, « On sentait que notre meilleur album était encore dans nos têtes, et Bob Rock nous a aidés à l’en sortir. »

Nous avons eu la chance de rencontrer Bob Rock, afin qu’il nous raconte comment il a aidé à réunir tous les bons éléments qui ont permis la création de ce monument du métal, encore culte à ce jour.

Bob Rock rejoint Metallica

En 1988, une fois Metallica propulsés en tête des ventes et des affiches de festivals, Bob Rock voulu comprendre l’engouement. Il me raconte, « Je voyait tous ces gens dans la rue avec un t-shirt Metallica. Je me suis dit : ‘OK, il faut que je les écoute’. Je me suis donc procuré une copie de…And Justice For All, et le clip de ‘One’ m’a aidé à visualiser le groupe un peu mieux, parce qu’on ne les entendait jamais à la radio, il fallait faire ses propres recherches. »

Rock finit par voir Metallica en concert à l’époque ou The Cult faisait leur première partie sur la tournée Justice (Rock a produit l’album Sonic Temple de The Cult.) « Je suis resté pour voir Metallica, et je n’avais jamais vu un groupe aussi puissant. Plus tard, Bruce Allen, mon manager me dit que le groupe avait appelé, et qu’ils voulaient que je mixe leur prochain album. J’ai joué le prétentieux et j’ai dit ‘c’est pas vraiment mon truc, mais je vais le faire.’ »

Au départ, le groupe était décontenancé par la nouvelle, mais décolla rapidement vers Vancouver pour faire écouter des démos à Rock. « Quand j’ai entendu les morceaux, je me suis dit ‘je peux le faire’. Pour certaines chansons, ça me paraissait limpide, c’était quelque chose de différent de ce que j’avais entendu auparavant. »

Photo by: Kevin Winter. Getty Images.

L’une des principales raisons pour laquelle le groupe voulait travailler avec Rock était qu’ils aimaient son travail titanesque sur Dr. Feelgood de Motley Crue. « Tommy Lee m’a vraiment poussé dans mes retranchements sur cet album, parce qu’il s’était mis à écouter du rap, il m’a donc emmené en terres inconnues. » Comme le raconte Rock. « C’est ce qu’a aimé Metallica, alors j’ai su comment m’y prendre. On sent la lourdeur dans Dr. Feelgood et le Black Album –, c’est leur son qui est lourd. »

Mais ce n’était pas la seule chose qui a été apportée. Rock élargit le son de Metallica, amenant la production du groupe à un nouveau stade. Désormais, on pouvait entendre la basse de Jason Newsted, et Rock ajouta beaucoup de texture sonore au son de guitare de James Hetfield. Sur … And Justice For All, le son du groupe était caverneux et faible, ils étaient passés au format IMAX 3D.

Le temps du changement

Une des premières choses que changea avec Rock fut la manière d’enregistrer Metallica. « J’ai pour habitude d’enregistrer les groupes live, dans le studio, » explique Rock. « J’étais ingénieur du son, et quand j’ai commencé la production, je me suis rendu compte qu’on pouvait modifier un arrangement, on peut changer le feeling d’une chanson quand on entend tous les instruments en même temps. Ils n’avaient jamais fait ça, ils enregistraient toujours piste par piste. »

« Ce qu’on recherchait, c’était un son live » raconte Hetfield dans Guitar World. « Avant, Lars et moi-même faisions la section rythmique sans Kirk et Jason, ou bien Lars jouait tout seul au clic. Cette fois-ci, je voulais essayer de jouer en groupe. Ça éclaircit les choses, et on ressent plus l’osmose. »

Metallica - Metallica ou, « The Black Album »

Rock indique qu’il y a trois pistes guitare stéréo sur le Black Album, à gauche, au milieu et à droite, « … Et le tout sonne comme un mur de guitare. Pour que le riff sonne lourd, il faut le jouer de façon précise. Hetfield est probablement le meilleur guitariste rythmique que j’ai jamais enregistré. » Très tôt dans les sessions d’enregistrement, Rock suggéra au groupe d’accorder les guitares plus bas pour « Sad But True ».

« La première fois que j’ai assisté aux répétitions du groupe, je ne l’ouvrais pas trop, parce que j’étais nouveau, » continue Rock. « Je notais le tempo des chansons, la tonalité et les arrangements. Au bout de six chansons, j’ai remarqué qu’elles étaient toutes en Mi. J’ai fini par demander, ‘Pourquoi tout est en Mi ?’ James m’a répondu très sèchement, ‘C’est la note la plus grave.’ Je leur ai dit, ‘Van Halen se désaccordait, Black Sabbath aussi. Vous n’avez jamais envisagé de jouer en Ré’ Ils le firent, et après l’avoir joué, on pouvait lire sur leur visage ‘Wow !’ C’était pas grand chose, mais ça cassait déjà la baraque. »

« Enter Sandman » fut la première chanson que Metallica avait écrit pour l’album, et aussi surprenant que cela puisse paraître, Rock avoue, « Je ne voyais pas ‘Enter Sandman’ comme étant le gros tube, mais Lars et Cliff Burnstein (le co-manager de Metallica) y croyaient. » Bien sûr, elle est non seulement devenue l’une des chansons les plus célèbres du groupe, mais est aussi devenue l’un des plus grands classiques du métal, avec son riff ultra simple qui était probablement la première chose qu’on apprenait à la guitare dans les années 90.

Metallica utilisaient des amplis Mesa Boogie depuis des années, et la base du son de Hetfield reposait sur un Boogie Simulclass Mark II qu’il utilisait sur Ride The Lightning, Master of Puppets et Justice.

Metallica - « Enter Sandman »

Metallica enregistrait sec et sans reverb après Lightning, et ils n’aimaient pas les médiums de leurs guitares, mais Rock aida à les ramener dans leur son. « Le Boogie était super, mais en terme de médiums, il manquait un truc, » selon Rock.

Pour ajouter des médiums au son de Hetfield, Rock amena un Marshall modifié par Jose Arrendondo, qui était célèbre pour avoir boosté les amplis de Van Halen. Encore la marque d’un groupe connu pour être têtu qui s’ouvre aux idées d’une personne extérieure, et comme Hetfield confie à Guitar World, « Bob m’a montré qu’ajouter un peu de médiums enrichit vraiment le son. »

« James voulait du crunch. » Ajoute Rock. « Pour moi, le crunch, c’est dans les haut médiums. Pour lui, le crunch, c’est quand on joue en palm mute et que ça fait ‘gonk !’ C’est le son de la pièce qu’on a fait pour les guitares, il n’y a pas que des micros rapprochés. On a trouvé une résonance, et elle nous a plu. »

Choisir son matos, et sortir de sa zone de confort

Pour la texture, Hetfield utilisait une Danelectro pour ajouter une touche de son miteux sur « Sad But True », une Gretsch White Falcon (qui fait sonner les Dive Bombs en son clair sur ‘Nothing Else Matters’ comme des atterrissages d’avion), et une Fender Telecaster avec un string bender utilisée sur ‘My Friend of Misery ‘.

Hetfield était avant cela un inconditionnel de Gibson, et commença à utiliser des guitares ESP à peu près à cette période, en commençant par une copie d’Explorer blanche. (au départ utilisateur de Flying V, Hetfield s’habitua plus à la forme des Explorer à l’époque de Puppets.)

Kirk Hammett est aussi un utilisateur de guitares ESP depuis 1988, et a été introduit à la marque par le maître des riffs d’Anthrax, Scott Ian. Sur le Black Album, Hammett utilise une Strat ESP et une Gibson Les Paul de 89 après en avoir essayé une quinzaine de sa collection et de jeter son dévolu sur ces deux-là.

Hammett utilise aussi un Mesa Boogie – en plus d’un pré ampli Bradshaw pour les basses et les médiums de ses parties lead – et des amplis Marshall pour les aigües. (Hetfield et Hammett utilisent tous les deux des micros EMG, un autre élément crucial du son Metallica.)

Le fameux solo de Hammett sur « The Unforgiven » a probablement été le plus difficile qu’il ait eu à enregistrer, mais aussi le plus gratifiant. Dans une scène du documentaire A Year and a Half in the Life of Metallica, on peut voir Rock dire à Ulrich, « Il va devoir manger, dormir et respirer ce solo avant de pouvoir le jouer. Les chansons de ce calibre le méritent. Elles n’ont pas besoin de spontanéité. Il va falloir qu’il y passe du temps. »

Metallica - « The Unforgiven »

« J’avais bossé un truc avant d’entrer en studio, mais Bob sentait que ce n’était pas très approprié, » raconte Hammett à Guitar World. « Il m’a demandé si je pouvais essayer quelque chose de plus sal, avec plus de sustain – plus dans la veine de Jeff Beck. Au début, ça m’a un peu vexé, mais j’ai compris qu’il avait raison. J’ai commencé à jouer aux doigts des arpèges, et Bob aimait comment ça sonnait. Il m’a dit, ‘pourquoi ne pas jouer tout le solo aux doigts, et vraiment tirer les cordes et les claquer sur les frettes ? L’idée était cool. C’était le premier solo que je jouais aux doigts sur un album. »

« J’ai travaillé avec d’innombrables guitaristes, et quel que soit leur niveau, quand ils doivent enregistrer, tout change pour eux tout à coup. » Dit Rock. « Ils commencent à y penser, et il faut un peu les pousser. Quand on ne fait pas ses devoirs et qu’on dit ‘je suis assez bon, je vais juste le faire, c’est là que ça commence à me fatiguer. J’essayais juste de tirer le meilleur de lui. Je l’ai poussé à faire ses preuves, c’est ce qu’on doit faire parfois. »

« J’ai travaillé avec d’innombrables guitaristes, et quel que soit leur niveau, quand ils doivent enregistrer, tout change pour eux tout à coup. » - Bob Rock

Comme le dit Hammett dans A Year and a Half in the Life of Metallica, « c’est un peu le genre de solo que j’essayais de jouer depuis cinq ou six ans, et j’en suis très fier. »

Rock a aussi tenté une nouvelle approche pour les parties lead de Kirk. « Kirk était habitué d’arriver pendant les deux dernières semaines de l’enregistrement de l’album pour y jouer ses solos » nous explique-t-il. « Quand on a enregistré les pistes, il jouait des solos sur toutes les prises qu’on faisait, ce qui l’énervait un peu, mais il fallait que je l’entende comme ça. Quand on a dû enregistrer les solos, tout à coup, il galérait à faire toutes ses parties lead, alors ce que j’ai fait, c’est que je lui faisais écouter ses solos qu’il avait enregistré en live, et il jouait des trucs super quand il n’y pensait pas. Alors quand il bloquait, on réécoutait ses solos, ce qui lui donnait un point de départ. »

Rock raconte qu’Ulrich est lui aussi très impliqué et critique vis-à-vis des solos de guitare. « Il déteste quand un guitariste joue un plan une fois, et une fois qu’il enregistre, en joue un autre. Il voulait que Kirk reste sur ces plans, ce qui était une bonne observation. Lars et moi passions en revue les solos qu’avait enregistrés Kirk, et il était très impliqué. Il a une bonne vision d’ensemble. »

Retour sur le Black Album

Le Black Album ne sera pas seulement le plus gros succès de Metallica, mais Rock sent qu’il est aussi au niveau des paroles l’album le plus personnel de James Hetfield, avec des chansons comme « Nothing Else matters » ou « The God That Failed ».

« J’ai le sentiment que c’est ce qui se dégage le plus de l’album, » dit Rock. « Quand on enregistre les parties vocales, on se concentre plus sur les paroles et leur signification, et je me suis dit ‘Wow, il y a une profondeur que je n’avais jamais entendu auparavant.’ Je n’ai jamais travaillé avec un groupe aussi profond et intense depuis. »

Je demande souvent aux gens s’ils se rendaient compte lors de l’enregistrement qu’ils travaillaient sur un album classique. Enregistrer le Black Album fut long et éprouvant – comme souvent avec Metallica – et Rock était si crevé à la fin de la journée qu’il ne se rendait pas compte. Le Black Album est sorti tout juste 12 heures après que tout soit terminé.

Metallica - « Sad But True »

Personne n’aurait pu prédire que cela deviendrait l’album le plus vendu de tous les temps, le rappelle Rock, « Je le trouvais bon. Quand on travaille dessus, on ne peut pas porter de jugement dessus. Il y a certains points forts – « The Unforgiven », « Nothing Else Matters » - mais la fois où j’ai vraiment pensé ‘c’est putain de génial,’ c’était pour ‘Sad But True.’ Quand ils m’ont fait écouter la démo et que j’ai entendu le riff, j’ai dit ‘Putain, ouais ! C’est putain de cool. Que ça se vende ou pas, je m’en fous, c’est juste trop cool.’ »

Rock sera plus tard surpris d’avoir produit plus qu’un grand album, « Je me suis rendu compte qu’il avait marqué, culturellement. Tout le monde avait cet album. Les dentistes aimaient le Black Album ! La sortie de l’album à marqué une transition musicale, et il a changé les radios, parce que ce son lourd passait à la radio. Alors oui, culturellement, il y a eu un impact, et je ne pense pas avoir déjà produit un album de ce calibre avant. J’en suis très fier. »

« Rétrospectivement, d’aimer l’histoire du Rock et de savoir comment d’autres grands albums ont été faits, on se rend compte que j’ai été au bon endroit au bon moment avec le bon groupe pour faire cet album. » - Bob Rock

Non-content d’avoir les bonnes chansons, d’avoir une production en béton, d’avoir le talent nécessaire pour le porter, le Black Album fut un de albums où les planètes se sont alignées et tous les éléments se sont rassemblés pour créer un chef-d’œuvre.

Aujourd’hui, Rock raconte, « Rétrospectivement, d’aimer l’histoire du Rock et de savoir comment d’autres grands albums ont été faits, on se rend compte que j’ai été au bon endroit au bon moment avec le bon groupe pour faire cet album. C’est la somme du travail de toutes les personnes qui y ont participé. Je ne pourrais pas le refaire aujourd’hui. On peut essayer, on peut se rapprocher du son, mais on ne peut pas recréer cette époque.

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