Il y a un quart de siècle naissait No One Is Innocent. Aujourd’hui, c’est toujours le même esprit qui anime ce groupe qui n’a jamais voulu rentrer dans des cases. Leur musique reste farouchement liée à une volonté de dénoncer la violence, le racisme et de monter sur un piédestal des valeurs comme la liberté et les droits civiques. Le tout est clamé haut et fort, servi à l’aide de riffs acérés et de morceaux agressifs qui remuent les tripes.
C’est à l’occasion de la sortie de leur nouvel album Frankenstein que nous avons eu la chance de pouvoir discuter matériel afin de mettre au jour ce qui fait le son de No One Is Innocent depuis plusieurs décennies. Rencontre avec Shanka, l’un des guitaristes du groupe.
Près de 25 ans après la formation du groupe, où en est musicalement No One ?
On est toujours en train de filer la métaphore du retour aux sources, avec quelques nuances quand même. No One est parti d’un malentendu. Le groupe a été étiqueté Rage Against The Machine dès le départ et c’est un peu la faute des maisons de disques.
Quand quelque chose marche, les producteurs veulent leur propre version, du même genre de groupe. À l’époque du premier album, chaque maison de disques française voulait avoir son poulain, un groupe qui soit dans cette veine Rage Against The Machine. Une espèce de fusion de plein de genres. On nous a fait rentrer dans cette case à ce moment-là.
En fait, les racines musicales du groupe étaient très punk années 70, la musique était influencée par des groupes comme MC5 ou les Stooges pour ne citer qu’eux. Effectivement, il y a eu des incursions dans d’autres styles musicaux, c’était un peu l’époque qui voulait ça. Ce fameux retour aux sources prend du coup la forme d’une sorte de pied de nez.
Les influences Rage Against The Machine n’ont jamais autant été assumées qu’aujourd’hui. Le propos lui est toujours resté engagé, humaniste et antiraciste. Ça a d’ailleurs valu à Kemar de se faire casser la gueule sur le pas de sa porte plus d’une fois. Pour Frankenstein, on a vraiment bossé sur les sons de guitare, on voulait garder les bonnes recettes tout en allant plus loin dans le détail, pour forger un son plus personnel.
En parlant d’influences, tu as un groupe des années 90 qui t’a vraiment marqué ?
Avec Kemar, on adore ce qu’ont pu faire des groupes comme les Beastie Boys dans leur période punk. Je regarde souvent des vidéos de leur live au David Letterman Show. C’est complètement malade, tu hallucines totalement. C’est juste génial. L’énergie dégagée par les musiciens est énorme !
Parlons matos, à quoi va ressembler ton set live au niveau pedalboard sur cette tournée ?
J’ai toujours été partisan de la simplicité. Sur mes têtes d’ampli je n’utilise pas la boucle d’effet, j’aime être branché en direct via mes effets. Le résultat n’est pas le même et d’un côté pratique, j’aime que tout soit simple, rapide et efficace au niveau branchements.
Tous mes effets sont donc branchés en série dans la tête d’ampli que j’ai depuis toujours. C’est une Marshall JCM 800 qui a été complètement modifiée par un atelier sur Paris. Elle n’a plus grand chose à voir avec une 800 de base au niveau du circuit mais je l’adore, elle me suit depuis plus de quinze ans maintenant.
Cette tête est vraiment géniale, elle est fiable et elle a un grain inimitable. Je la branche dans un baffle Marshall, une édition anniversaire limitée fabriquée dans les années 80. C’est Nico le guitariste d'Eiffel qui me l’a vendu. C’est un classique 4 x 12 Marshall closed back qui sonne incroyablement bien.
Au niveau de mon pédalier, c’est un peu plus fourni que sur la tournée précédente. J’ai beaucoup utilisé la whammy sur le dernier album, il a donc fallu lui faire une place sur mon pedalboard.
J’ai également une pédale dont il serait difficile de me séparer maintenant. Elle a forgé le son de pas mal de morceaux de l'album. C’est une Death By Audio Fuzz War. J’ai mis vachement de temps à la maîtriser, c’est un peu le genre de pédale qui conditionne ce que tu joues et pas l'inverse.
Il y a une pédale de reverb que j’adore vraiment en ce moment, c’est la G-Lab Dual Verb. Elle est terrible. Dessus, tu as deux reverb : une longue et une courte. Lorsque tu viens la mettre en service, la reverb se déclenche, mais lorsque tu viens la désactiver la reverb est toujours présente et meurt tranquillement. Mine de rien c’est vraiment top, ça permet de doser hyper finement l’effet sans qu’il ne devienne trop envahissant. Je l’aime tellement que je suis triste de ne pas l’avoir à la maison en ce moment. Pour me consoler, j’utilise un plug génial de Soundtoys qui s'appelle Little Plate.
J’aime pouvoir créer des « climats » avec mes effets. J’ai un petit delay qui me suit depuis toujours, une Headrush de chez Akai qui est géniale, mais il ne me permet pas de créer ces paysages qu’il est possible d’obtenir avec la G-Lab.
Après, au niveau de mes effets, c’est un peu la foire à l’octaveur et à la fuzz. J’ai une whammy, une Micro Pog de chez Electro Harmonix. On retrouve ensuite la Fuzz War qui vient se brancher dans une Angry Fuzz de chez Visual Sound, pour ensuite aller dans une bonne vieille OCD.
Si je devais emmener une pédale sur une île déserte, c’est avec ma OCD que je pars. Ensuite, on a une Fulltone Full Drive 3, une Phase 90 de MXR que j’aime beaucoup faire varier en live grâce à son gros potard en caoutchouc, on peut l’entendre sur le solo du morceau « Nous sommes la nuit ». Et pour finir ma wahwah Dunlop 535 que je traîne depuis toujours.
Et au niveau guitares, lesquelles vont t’accompagner ?
J’ai choisi de prendre ma Les Paul, je suis en train de la redécouvrir. C’est quand même vraiment pas mal comme guitare.
J’utilise aussi deux guitares fabriquées par un luthier de Nancy qui s’appelle Roadrunner. Il y en a une qui a une petite cellule de micro d’harmonica qui est planquée dans le haut de la corne de la guitare, ça me permet de chanter directement dedans et de balancer le signal dans mes effets. C’est devenu ma signature sur scène.
Elle est équipée d’un micro « Moonshiner » fabriqué par un autre luthier français : Roger Daguet. Je suis d’ailleurs en train de bosser avec lui sur un nouveau modèle de guitare.
La seconde est toute en acajou, encore plus lourde que ma Les Paul. Elle ressemble un peu à une caravane Airstream, mais au niveau son, elle met tout le monde d’accord. Quand je faisais des prods de groupe en studio, les mecs finissaient toujours par tout jouer dessus.
Pour finir, j’ai une Telecaster American Serie qui a trouvé une seconde vie il y a peu de temps. Elle était d’une mollesse incroyable, elle ne sonnait pas du tout. Il a fallu que je la casse pour avoir l’occasion de changer les micros. C’est Laurent de chez Roadrunner qui m’a modifié le circuit, il l’a transformée en Esquire. C’est devenu une petite tuerie qui claque, bien nerveuse, avec des réglages ultras simples.
Pour affirmer vos choix artistiques et le résultat sonore sur Frankenstein, est-ce que vous avez eu à utiliser des combinaisons ou du matériel que vous n’aviez jamais encore utilisé sur les autres albums ?
On a effectivement vraiment pris le temps de bosser sur notre son tranquillement pour cet album et de tester pas mal de trucs. Pour ma part, j’ai mon studio à la maison, ça me permet de pouvoir travailler sur mes compos tranquillement. Bien sûr, beaucoup des morceaux sont restés uniquement sous la forme de démos. Impossible de tout compiler sans se retrouver avec quarante titres sur l'album.
J’ai une façon d’aborder le son assez « noisy », j’adore utiliser des tonnes de fuzz. Pour réussir à trouver les sons qui me plaisent, j’utilise en général un petit baffle 1 x 12” devant lequel je viens placer un micro AKG 414 que je règle en cardioïde. Cette configuration me permet de récupérer beaucoup d’espace dans le son. Avec des fuzz comme la Fuzz War, j’ai vraiment des textures très intéressantes.
Au final, sur l’album, on a favorisé des combinaisons qui marchent en les comparant. Telle guitare avec telle tête d’ampli sur tel baffle. Même si en studio la montre tourne et le facteur temps est hyper contraignant, on trouve toujours des moments pour expérimenter et aussi s’amuser. C’est vraiment capital.
Un grand merci à Shanka de No One Is Innocent pour avoir pris le temps de répondre à nos questions. Pour découvrir d’autres interviews réalisées par Reverb, c’est juste ici.
Photo de couverture : Stéphane Hervé