Synthés et bandes-son de films de science-fiction des années 70

Les bandes-son de films de science-fiction et les synthés sont, pour ainsi dire, indissociables. Et il y a de fortes chances pour que les premiers films de SF qui vous viennent à l’esprit soient sortis dans les années 1980.

Grâce à la sortie des synthés polyphoniques Yamaha CS-80 et Oberheim OB-8 à la fin des années 70 et au début des années 80 et, plus tard, de l'arrivée du MIDI et du sampling, les années 80 sont considérées comme l’âge d'or des synthétiseurs dans les bandes-son de films d'horreur, d’action ou encore de science-fiction. Blade Runner, ça vous dit quelque chose ?

Si on voit apparaître les synthétiseurs dans les bandes-son de films d'horreur à la fin des années 70, c’est grâce, entre autres, au travail du réalisateur/compositeur John Carpenter et de Goblin (le groupe de prog-rock responsable des bandes-son de nombreux films gore italiens, comme Suspiria en 1977).

 Les bandes-son de science-fiction faisant la part belle au synthé sont encore rares à cette époque mais nous en avons tout de même trouvé quelques-unes. Retrouvez donc ci-dessous notre sélection de synthétiseurs utilisés dans six films de science-fiction des années 1970.


Dark Star (1974) — John Carpenter
EMS VCS3

Dark Star, le premier film de John Carpenter co-écrit et interprété par Dan O'Bannon, sort en 1974. John Carpenter, au travers de sa carrière, contribuera à populariser l'utilisation des synthétiseurs dans les bandes son.

EMS VCS3 de 1969. Photo : Olivier's Gear Depot

Fils de musicien, Carpenter a composé plusieurs de ses propres musiques de film, dont L'étoile Noire. L’EMS VCS3, un synthétiseur modulaire portable introduit pour la première fois en 1969 et utilisé par Pink Floyd, Pete Townshend, Hawkwind et bien d'autres fait figure de pièce maîtresse sur le thème principal du film.

Toujours soucieux de respecter son budget, Carpenter a emprunté un VCS3 et a enregistré toute la bande sonore en seulement quatre heures. « Être seul, et être capable de sonner bien plus épais », déclarait Carpenter à Vice en 2014. « De doubler, tripler et quadrupler la piste de ces sons-là. Voilà pourquoi c’est moi qui l'ai fait. »

Son utilisation du VCS3 fait également référence aux premiers films de science-fiction des années 1950 tels que Planète interdite (1956), qui utilisait de l'électronique primitive dans sa bande sonore, et Le Jour où la Terre s'arrêta (1951), qui utilisait des thérémines et des effets sur la bande d’enregistrement pour évoquer la peur et le sentiment de « l'autre ».

Carpenter voulait apporter quelque chose de plus léger avec L’Étoile noire, ce qui ne l’a pas empêché d’écrire et d’enregistrer l'un des thèmes de film les plus effrayants jamais composés quelques années plus tard, Halloween, sorti en 1978.


L'Âge de cristal (1976) — Jerry Goldsmith
ARP 2500

Jerry Goldsmith était un compositeur prolifique de musiques de films et de télévision, aussi à l'aise avec les synthétiseurs qu'avec les orchestres. Sa bande-son écrite pour le film L'Âge de cristal en est d’ailleurs un parfait exemple. Le film de 1976 - sur une société dystopique et hédoniste où les citoyens étaient mis à mort lorsqu'ils atteignaient la trentaine - présentait une partition alternant synthé et orchestre pour accentuer le contraste entre l'artificialité et le sentiment d’oppression régnant dans la ville et la liberté du monde extérieur.

Goldsmith a utilisé un ARP 2500 - mis sur le marché pour la première fois en 1970, lorsque la marque était encore connue sous le nom Tonus - pour réaliser la musique du film. Véritable bête de somme du système modulaire, elle utilisait une matrice 10x10 au lieu de câbles de patch (un peu comme sur le VCS3) pour connecter ses différents modules.

Les séquences du film consacrées à la ville utilisent des samples de synthé modulaire assez incroyables. Goldsmith était également connu pour utiliser un ARP 2600, la suite semi-modulaire du 2500, présent sur la bande-son du film L'Age de cristal.

De l'usage des percussions dans La Planète des singes à l'utilisation du rayon blaster dans Star Trek : Le Film, en passant par le mix synthétiseurs/orchestre traditionnel pour Damnation Alley, Goldsmith n'a jamais eu peur de s'aventurer hors des sentiers battus.


Orange Mécanique (1971) — Wendy Carlos
MOOG VOCODER CUSTOM

Sorti trois ans après 2001 : l’Odyssée de l'Espace, le film de science-fiction dystopique de Stanley Kubrick de 1971, Orange Mécanique, a choqué toute une génération de spectateurs. Mais la bande-son, réalisée par Wendy Carlos, a aussi marqué les esprits. Grâce à son utilisation du système modulaire Moog, la compositrice réussit à faire cohabiter la musique classique et la musique électronique.

Si ses versions d’Henry Purcell, Gioachina Rossini et Ludwig Van Beethoven n'étaient pas si éloignées de ce que l’on pouvait trouver sur son premier album studio à succès, Switched-On Bach, le Vocoder utilisé dans « March From Orange Mécanique » (un extrait du 4ème mouvement de la 9ème Symphonie de Beethoven) était une grande nouveauté.

Sur son site internet, Carlos écrit à propos de la réalisation de l'œuvre : « À l'époque, c'était un territoire encore inexploré, nous étions les premiers à avoir l'audace (ou la bêtise) d’essayer. Beaucoup ont suivi, c’est donc que ça devait être une bonne idée ». C’était probablement la première fois que le public entendait le son d’un Vocoder.

Bien que Moog ait fini par sortir son Vocodeur 16 bandes en 1979 (la marque l'a réédité en 2020), Carlos utilisait à cette époque un modèle fait sur-mesure par Bob Moog lui-même. Cette version à 10 bandes utilisait son système modulaire pour servir de porteuse, son modulateur vocal étant fourni par elle et sa partenaire musicale Rachel Elkind.

Avec seulement 10 bandes, Carlos réussit à produire un son obsédant qui a dû choquer les oreilles d’un public peu habitué à ce type de sonorités. Kubrick avait engagé Carlos sur la base de ce morceau et de l’avant-gardiste « Timesteps », où l’on retrouve le son du Vocoder.

Si « March » peut nous sembler désuet aujourd'hui, à l’heure de l’autotune et des traitements vocaux extrêmes, il représentait un saut monumental en matière de technologie et d'expression créative au moment de sa sortie.


Solaris (1972) — Eduard Artemyev
Synthétiseur ANS

Le point commun de la plupart des bandes-son des années 1970 est la façon dont les synthés étaient utilisés. Alors que les synthétiseurs se sont répandus en masse dans presque tous les genres de musique durant les années 80, ils étaient encore très nouveaux dans les années 70.

Capables de produire une vaste gamme de sonorités et de timbres jamais entendus auparavant, ils sonnaient de façon étrange et étrangère à la plupart des auditeurs habitués à une palette d'instruments acoustiques. Les compositeurs l’ont exploité, en particulier dans les bandes son de science-fiction, où ils étaient souvent utilisés en contraste avec des sons symphoniques plus familiers et réconfortants.

Synthétiseur ANS

Le film Solaris d'Andreï Tarkovski, tourné en Union soviétique en 1972, raconte l'histoire d'un homme envoyé sur une station spatiale en orbite autour de l’étrange planète Solaris. Sur la planète terre, on entend la musique de Bach et dans le monde extraterrestre de Solaris, on entend le synthétiseur ANS.

Evgeny Murzin a mis 20 ans, de 1937 à 1957, pour fabriquer l’instrument. Le synthétiseur ANS est un synthé « photoélectronique » qui utilise la technique du son photo-optique pour produire de la musique avec de la lumière. L'utilisateur dessine sur une plaque de verre recouverte d'une sorte de résine noire. En suivant la plaque de gauche à droite, le son est produit. Joué par le compositeur Eduard Artemiev sur la bande-son de Solaris, il a généré des sons obsédants et uniques, parfaits pour représenter l'énigme de la planète eau.

Malheureusement, il n'existe qu'un seul synthétiseur ANS au monde, utilisé avec succès par le groupe Coil sur leur album ANS et par la TGAC. Si vous ne pouvez pas vous rendre en Russie pour jouer sur l’original, vous pouvez toujours essayer la simulation virtuelle du synthétiseur ANS.


Phase IV (1974) — Brian Gascoigne
EMS VCS3

Phase IV est un film de science-fiction sur des fourmis ultra-intelligentes sorti en 1974. Captivant, brillant, psychédélique, le film peut aussi se vanter d’avoir une bande sonore incroyable.

Composée par Brain Gascoigne avec l'aide de David Vorhaus (du groupe électronique culte White Noise), de Desmond Briscoe (membre de l'atelier radiophonique de la BBC), et du percussionniste japonais Stomu Yamash'ta, la bande sonore passe de Pink Floyd à l'ère d’Ummagumma à des drones de synthés profonds et menaçants.

Bien que nous ayons très peu d'informations sur le matériel utilisé pour la réalisation de la bande-son, les drones sont très proches des VCS3, et leur son ressemble à s’y méprendre aux types de paysages sonores VCS3 que Vorhaus explorait sur son album White Noise 2, qui est sorti la même année que le film. On distingue également des cordes passant à travers un filtre, un peu à la manière de Brian Eno avec la guitare de Robert Fripp sur « Heroes » de David Bowie. Le pic de résonance grinçant et mordant dans ces passages orchestraux sonne très VCS3 d’EMS.

Gascoigne, qui a composé la musique du film La Forêt d'émeraude (1985) et joué sur Dark Crystal, était un utilisateur connu de l'ARP 2600. Il se peut donc que certains des fameux synthétiseurs de l'ARP aient aussi été utilisés sur cette bande-son psychédélique.


Rencontres du troisième type (1977) — John Williams
ARP 2500

C'est ainsi que nous arrivons au film « Rencontres du troisième type Of The Third Kind » (Rencontres du Troisième Type) de 1977, où l’on peut entendre l'utilisation la plus célèbre d'un synthétiseur dans un film de science-fiction.

Le réalisateur Steven Spielberg aurait acheté un ARP 2500 pour l'utiliser dans le film afin de communiquer avec les vaisseaux extraterrestres de la Tour du Diable. L'équipe de production du film a demandé à quelqu'un de l'accompagner pour l'aider à l’installer. ARP a donc envoyé Phil Dodds, qui était à l'époque le vice-président de l'ingénierie de la société.

Apparemment, Spielberg pensait que Dodds avait le rôle et lui a demandé d'apparaître dans le film en tant qu'opérateur du synthétiseur. Dodds joue les fameuses cinq notes pour « parler » avec les vaisseaux extraterrestres et regarde ensuite avec émerveillement les extraterrestres prendre le contrôle du synthétiseur à distance dans la fameuse scène de conversation (appelée « Wild Signals » sur la bande-son).

Malheureusement, il ne s’agit pas d’un ARP 2500 sur la bande son. D’ailleurs, aucun synthétiseur n’a été utilisé. Alors qu’on entend le synthétiseur dans le film, la bande son - telle qu'elle a été écrite par le compositeur John William - fait figurer une clarinette pour la partie « synthétiseur » et un tuba pour le vaisseau. Williams avait apparemment envisagé d'utiliser un Moog à l'origine, mais il a trouvé le son trop extraterrestre. Allez comprendre !

Pour en savoir plus sur l'ARP et son lien avec le film « Rencontre du troisième type », nous vous recommandons de lire notre article sur l'ARP 2500 et de regarder le super documentaire d'Alex Ball.

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