Nicolas Godin du groupe AIR revient sur le matériel utilisé sur « Moon Safari »

Il y a maintenant vingt ans, en 1998, sortait un album qui allait marquer toute une génération : Moon Safari, du groupe AIR.

À l’origine de ce premier album unanimement salué lors de sa sortie : le duo composé par Jean-Benoît Dunckel et Nicolas Godin, deux musiciens originaires de Versailles.

Depuis sa sortie, l’album a été vendu à plus de deux millions d’exemplaires à travers le monde. En 2010, il est classé dans le Top des albums français du magazine Rolling Stones.

Nous avons eu la chance de pouvoir échanger avec Nicolas Godin autour du processus de création de l'album. Nous lui avons posé des questions sur le matériel choisi à l'époque et sur les procédés d'enregistrement utilisés dans leur home studio du quartier de Montmartre jusqu'au mythique studio 2 d'Abbey Road.

Où a été enregistré Moon Safari ? Combien de temps a duré l’enregistrement ?

Moon Safari - 1998

L’enregistrement de Moon Safari s’est étendu sur deux ans je pense, entre 1996 et 1997, nous avons fini le mixage en août 97. Et l’album est ensuite sorti en janvier 98.

Nous avons commencé dans mon appartement de Montmartre avec mon home studio. J’y ai enregistré les premiers morceaux de AIR à partir de 1995.

Pour la phase finale nous avons loué plusieurs mois un ancien studio abandonné à Saint-Nom-la-Bretèche dans une jolie maison plus que centenaire qui a servi jusqu’à « Virgin Suicide »… À l’orée d’un bois et du terrain de golf.

Nous avons fait ensuite une quinzaine de jours pour les finitions au studio « Gang » boulevard de l'Hôpital dans le 13e conçu par Jean Pierre Janniaud, un vrai génie ! Puis nous avons mixé le tout avec Stéphane Briat au studio Plus XXX, rue des Annelets sur une grosse SSL. Mais comme Moon Safari n’a que 8 pistes, il y avait juste les huit petits potards levés sur la SSL géante c’était comme un gag.

Quel type de support avez-vous utilisé ? Un magnéto multipistes ? Un DAW ?

Nous avons utilisé un huit pistes numérique Fostex D80, celui avec la façade qui se détache, synchronisé avec un Akai S1000 et un Cubase sur un vieux Mac même si j’avais commencé avec un Atari 1040ST…

L’album débute par un morceau instrumental de plus de sept minutes, c’était un pari risqué en 1998 ? Qu’est-ce qui vous a poussé à faire ce choix là ?

« La femme d'argent » - AIR

« La femme d’argent » ne pouvait être qu’au début ou à la fin du disque… Or c’est un trop bon morceau pour se retrouver en dernier et donc il s’est retrouvé en premier. Mais j’ai dû me battre… Beaucoup de gens voulaient mettre « Sexy boy » en premier.

J’ajouterais que j’adore les disques qui commencent par un shunt comme Catch a Fire de Bob Marley.

À l’époque de la sortie de Moon Safari, on parlait d’un son électro bien rétro. Quel instrument a été indispensable à la création de cette signature sonore ?

L’alchimie de Moon Safari repose sur le mélange entre le Fender Rhodes, des riffs de basse et des nappes de Solina string ensemble. Et pour lier les parties entre elles, faire les transitions et mettre de la vie, il y a des vagues de synthés monophoniques type Mini Moog ou Korg MS20, et Syrinx passées dans des delays analogiques ou bien le DP4 Ensonic, tempo delay sans oublier le vocoder Korg DVP1.

Certains morceaux de l’album sont-ils liés à des instruments en particulier, comme le Fender Rhodes sur « Talisman » par exemple ?

Sur talisman il s’agit d'un mélange entre Jean-Benoît qui joue du Rhodes et moi qui double la mélodie au Wurlitzer 200A donc il y a deux pianos électriques dans le même morceau… Pas facile à mixer du coup.

« Talisman » - AIR

Sur le début de « La Femme d’argent », on entend une basse électrique et un Rhodes. Est-ce que c'était une volonté dès le départ d’enregistrer des instruments acoustiques et électriques en plus d’instruments plus « électroniques » ?

« Le Rhodes est mon instrument préféré. Pendant toute mon enfance je me demandais ce qu’était ce son que j'entendais partout à la télé et la radio… »

Le Rhodes est mon instrument préféré. Pendant toute mon enfance je me demandais ce qu’était ce son que j'entendais partout à la télé et la radio… Mais on ne nous expliquait pas que le Rhodes existait à l’époque… Je savais ce qu’était un xylophone, un violon , un tuba etc mais jamais personne ne m’avait parlé du Rhodes. Un beau jour à Pigalle j’en ai vu un d’occasion complètement rincé dans un magasin et quand j’ai mis mon doigt dessus j’ai enfin compris d’où venait ce son mystérieux qui me hantait depuis tant d’années… Il valait 3 000 francs, je l’ai acheté direct, c’était la toute fin des années 80.

Beaucoup de personnes spéculent sur le son de basse de l’album en général, pour ma part, j’ai envie de parier sur une vieille Höfner montée avec des cordes à filets plats ?

Les morceaux avec une basse profonde comme « All I Need » sont enregistrés en direct avec ma Precision Fender que j’avais aussi achetée à Pigalle en 89. Elle date de 77 mais je n’ai jamais changé les cordes depuis donc elle n’a pas d’aiguës et ce, d’autant plus que je mettais la tonalité à zéro sur le potentiomètre de la basse ce qui a rendu fou Stéphane Briat pendant le mix.

Pour les sons 60’s, il s'agit en effet d’une Höfner violon des années 60 avec des cordes à filets plats en plastique noir. Elle appartenait à Nicolas Dufournet qui était le bassiste de « oui oui », un ancien groupe de Versailles dans lequel Michel Gondry était batteur.

Cette basse est la meilleure basse sur laquelle j’ai jamais joué. Lorsque j’ai dû la rendre à Nicolas Dufournet, j’ai acheté une Höfner Club de 61 avec les mêmes micros et la même lutherie pour retrouver les sensations mais sans la forme violon car je ne voulais pas copier McCartney si je la prenais en concert… Elle est moins bien finalement même si j’ai enregistré de super morceaux avec.

« All I Need » - AIR

Comment a été enregistrée la basse ? Directement dans une console ou via un ampli basse ? Un souvenir de la marque ? Du modèle de ces éléments ?

Comme je le disais, la Precision bass en direct dans le Fostex ou le sampler… Concernant la Höfner, je joue sur cette dernière avec un médiator heavy en bloquant les cordes avec la paume. Et chose inhabituelle, je la branchait sur le seul ampli que j’avais à l’époque, c’est à dire un ampli guitare Peavey Classic 50 , ce qui donne ce son medium typique.

J'enregistrais le tout avec un micro AKG C414 acheté à Pigalle quelques années plus tôt sur les conseils d’Étienne de Crecy, (un ami de lycée à Versailles qui a mixé avec Alex Gopher le premier titre de AIR, Modulor mix) , alors qu’il n'était encore qu’assistant au Studio Plus XXX .

On retrouve sur tout l’album une superbe utilisation de l’effet wah sur de nombreuses guitares, qu’est-ce qui se cache derrière ? Une bonne vieille Vox ou alors quelque chose de plus « moderne » ?

Ça c’est un peu ma trouvaille : sur chaque premier temps des refrains, un coup de Clavinet dans une wha wha… Tout le monde croit que c’est une guitare mais c’est Jean-Benoît qui joue les accords au Clavinet en les renversant ou bien en les augmentant de temps en temps… Cela aurait été moins bien à la guitare je pense.

Nicolas Godin par Camille Vivier

La wha wha a été achetée à Versailles en 86 chez « Dany Versailles Musique » (en même temps qu’une boîte à rythmes Boss DR 110). Je l’avais achetée car elle avait une petite saturation sur le coté en option donc je pouvais avoir deux pédales en une. Mais a l’époque j’étais ado et fan de Prince et je cherchais une wha wha au son « clean » comme sur « Kiss », c’est pour ça que je n’avais pas pris un truc plus vintage comme la « Cry Baby » qui en plus n’était plus rééditée à l’époque il me semble. De toute manière j’ai toujours trouvé que la « Cry Baby » a une course un peu courte pour moi... Mon Ibanez avait une plus grande amplitude donc c’était mieux adapté au Clavinet.

Mais j’ai eu ma première wha wha en 82, j’avais 12 ans, c’était une Schaller d’occasion que mon frère m’avait acheté avec une Small Stone Electro-Harmonix que j’utilise toujours.

Vous avez travaillé sur l’album avec le compositeur Jean Jacques Perrey, un joueur hors pair d’ondioline, l’un des premiers synthétiseurs fabriqué en France. Vous avez déjà eu la chance de pouvoir en jouer ?

Non, concernant l’ondioline je ne connais uniquement ce que j’en ai vu sur YouTube avec Jean Jacques qui en joue… Chez moi il a joué du Moog Prodigy car il voulait jouer les mélodies sur un ruban. Il avait l’oreille absolue...

Le morceau « Ce matin-là » me fait penser à certaines musiques de Michel Magne, c’est certainement dû à l’utilisation des cuivres et d’une sorte d’harmonica ? Quelles ont été vos inspirations pour ce disque ?

Clairement Burt Bacharach et le générique des Barbapapas… Pendant un an il y a eu à cette époque (95,96) une vague « easy listening » dans laquelle j’ai puisé l’inspiration de ce morceau. Je joue l’harmonica et c’est un ami à moi des beaux-arts qui a joué le tuba. Il s’appelle Patrick Woodcock et a ensuite fondé le groupe « Mellow ». Il joue aussi la guitare acoustique en arpège de « All i need » avec ma Guild elle aussi achetée à Pigalle en 94. Mais il ne joue seulement que sur le couplet, car on a composé le refrain plus tard avec Jean-Benoît et j’ai dû faire la guitare moi même sur ce refrain donc.

Talkie Walkie - 2004

J’ai utilisé cette Guild sur tous les albums de AIR jusqu’à « Talkie Walkie ». La première fois que j’ai joué de cette guitare sur un disque fut lors de l’enregistrement de la chanson « Les poèmes de Michelle » de Teri Moïse en 1995. Ce fut un gros tube et j’ai donc pensé qu’elle me porterai bonheur pour la suite… Elle s’est retrouvé sur bon nombre de futurs classiques par la suite, comme par exemple « How does it make you feel » ou « Playground love ».

Lorsque nous enregistrions « Ce matin là » dans mon salon Montmartrois, j’imaginais très fort que j’étais à « Capitol Records » à Los Angeles et on sent cette ambiance dans le morceau. C’est une des grandes leçons à retenir sur la notion d’enregistrement : si l’on fantasme très fort quelque chose, et bien ça passe dans les câbles et ensuite dans la tête des gens qui écoutent le morceau…

Après le succès de Moon Safari, nous avons pu vraiment aller enregistrer aux studios Capitol à LA avec un Fairchild par tranche et des reverbs naturelles à foison… La folie.

Avez-vous eu besoin de travailler avec des musiciens sur certaines parties instrumentales comme les cordes ?

« Whitaker avait tout du vrai gentleman, la classe anglaise dans toute sa splendeur, et croyez moi c’est un Français qui vous parle donc admiration sincère pour l’homme qu’il était. »

Oui, la maison de disque avait confiance en nos démos et ils nous ont offert « Abbey Road » avec David Whitaker aux arrangements dans le studio 2 des Beatles. Whitaker avait tout du vrai gentleman, la classe anglaise dans toute sa splendeur, et croyez moi c’est un Français qui vous parle donc admiration sincère pour l’homme qu’il était. Sa femme nous avait fait une tarte que nous avons dégustée dans la control room. Nous avions fait les séances préparatoires chez lui à Oxford.

Nicolas Godin par Camille Vivier

À la fin des années 90, était-il plus difficile de trouver du matériel vintage par rapport à notre époque hyper connectée? Ou est-ce que justement, les vieux Moog et autres étaient moins recherchés ?

En France il y avait une grosse facilité pour trouver du matériel japonais d’occasion vintage type Roland, Korg etc… D’autant plus que lorsque nous en achetions c’était la mode du Yamaha DX7 et des Korg M1… Autant dire que le matériel vintage ne valait plus rien. Il me semble que Jean-Benoît a payé son MS20 1 500 francs avec le Sequencer SQ10 à la Caverne des particuliers à Versailles.En revanche impossible à l’époque de trouver du matériel américain type Sequential Circuit, Linn, Oberheim, Moog etc…

Une fois par semaine je faisais la tournée des magasins de Pigalle, quelques uns à Montparnasse et c’est comme ça que je trouvais des trucs : j’ai pu acheté ma TR 909 2 000 francs dans un magasin rue Mansart , comme neuve dans sa boite avec la K7 démo du batteur de Starsky et Hutch.

Une fois par mois j’achetais « Keyboard magazine » le premier jour de parution je consultais les petites annonces et j’allais à une cabine téléphonique directement en sortant de la librairie pour choper le matériel avant tout le monde. C’est par miracle que j’ai trouvé un Mini Moog à vendre à Colombes… Je n’en revenais pas, d’autant plus que comme je le disais plus haut, on trouvait surtout du matériel japonais à Paris.

« Une fois par mois j’achetais « Keyboard magazine » le premier jour de parution je consultais les petites annonces et j’allais à une cabine téléphonique directement en sortant de la librairie pour choper le matériel avant tout le monde. »
Pochette de l'album Moon Safari

J’ai aussi trouvé mon propre MS 20 vers Chartres… J’avais une « Austin Mini » à l’époque et je vadrouillais pas mal. C’était clair que le gars qui me le vendait le faisait la mort dans l’âme et cela m’a brisé le cœur qu’il s’en sépare ainsi…. Mais apparemment il avait vraiment besoin du blé car j’ai vu sa femme et un nouveau né dans un coin… Quand il m’a montré comment s’en servir, on sentait que c’était la dernière fois qu’il le manipulait et ce jour là , en lui achetant, je me suis promis de l’utiliser à bon escient et de faire honneur à son sacrifice… Et comme nous avons enregistré tous les albums de AIR avec j’ai tenu parole.

Ensuite après Moon Safari on a passé du temps à Los angeles et là nous avons acheté chez Black Market Music sur La Cienega Boulevard énormément de matériel… Notamment un Memory Moog (il appartenait au groupe Mötley Crüe qui l’avait peint en noir...), des Linn drums et tout le matériel américain dont nous rêvions depuis Paris. Black market n’existe plus, tout passe par internet aujourd’hui. On a aussi trouvé des trucs en tournée US dans des pawn shops et autres.

Comment sonne cette basse Bison fabriquée par Burns en 1963 trouvée sur Reverb ? Vous cherchiez ce modèle particulier ou est-ce que c’est le fruit du hasard ?

En fait après des années à essayer de populariser le type de son basse de Melody Nelson, j’ai décidé d’avoir « la » basse de Melody Nelson, je me suis dit que ce serait plus simple.

J’en ai discuté avec Fred Palem qui m'a assuré, en me montrant le livret de l’album et les photos de l’enregistrement, que le bassiste du disque est Dave Richmond qui joue sur une Burns Bison noire de 62... Donc je me suis mis en tête d’en trouver une et là encore c’est Fred qui m’a indiqué celle à vendre sur Reverb et j’ai connu votre site par la même occasion.

Burns Bison Bass de 1963

Elle était à Melbourne qui est une ville que j’aime bien et dans laquelle j’ai également rencontré ma femme, elle aussi bassiste (Iracema Trevisan du groupe Brésilien CSS). Du coup j’ai pensé que c’était un signe et je l’ai achetée direct. Tout s’est très bien passé. Mais lorsque j’en parle à Jean Claude Vannier qui a composé et enregistré Melody Nelson, il me soutient à chaque fois que le bassiste de l’album est Herbie Flowers sur sa Jazz bass. Bon là j’ai tellement d’admiration pour Jean Claude que ça devient dur de mettre sa parole en doute…

Cela dit je ne reconnais pas trop le style d’Herbie Flowers sur le disque… D’ailleurs lorsqu’Herbie joue Melody Nelson en live, je le trouve bizarrement un peu balourd, ce qui corrobore la thèse selon laquelle il s’agit de Dave Richmond sur le disque.

Une dernière remarque cependant : le truc génial du riff de basse de Melody Nelson est l’écart de 10e entre les deux premières notes, hors pour moi, l’autre grande ligne de basse mythique de l’histoire de la musique est « Walk on the Wild Side » de Lou Reed qui est basée sur ce même écart de 10e et qui est là encore une idée de génie... Et qui est le bassiste de « Walk on the Wild Side » ? Bingo, c’est Herbie Flowers… J’avoue que je m’y perd...

« Melody » - Serge Gainsbourg

Je connais mal ce modèle de basse anglaise, trois micros simples c’est ça ? Au niveau de l’électronique, est-ce qu’elle utilise un circuit particulier ? Un ampli fétiche pour l’accompagner ?

Ok, il y a trois micros simples et un sélecteur 4 positions (alors qu’on pourrait s’attendre à avoir un sélecteur 5 positions : 3 principales et 2 intermédiaires). Il y a un nom sur la plaque pour chaque position, la deuxième position s’appelle « jazz » et c’est exactement le son de Melody Nelson, je pense que c’est la position qui lie simultanément le micro manche et le micro du milieu, un peu comme sur la deuxième position d’une stratocaster. La dernière position correspondant au micro aigu s’appelle « wild dog »… J’adore…

Pour l’ampli et d’après tous les grands bassistes que je connais, le top du top d’après eux pour ce genre de basse restent les vieux Ampeg B15… Je n’en ai pas personnellement et j’en cherche un... Mais en ce moment j’enregistre avec une Music Man Sabre dans une DI.


Merci à Nicolas Godin de AIR de bien avoir voulu répondre à nos questions, pour découvrir d’autres interviews réalisées par Reverb, c’est juste ici.

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