Pierre Henry : aux sources de la musique moderne

Pour la plupart des musiciens passionnés de musiques électroniques et d’expérimentations sonores le nom de Pierre Henry résonne comme une véritable référence.

Pierre Schaeffer, 1948

Après une formation de percussionniste au conservatoire de Paris en 1939, Pierre Henry rencontre Pierre Schaeffer après la guerre. Ensemble ils vont créer en 1950 la célèbre « Symphonie pour un homme seul » , considérée comme le premier succès public de la musique concrète, deux ans après son invention en 1948 par P. Schaeffer.

Quelques années plus tard Pierre Henry ouvre son premier studio sous le nom de « APSOME » (Applications de Procédés Sonores en Musique Électroacoustique). Il y rassemble du matériel afin de pouvoir composer et créer de façon indépendante. En 1982 il décide de créer le studio Son/Ré à Paris dans lequel il travaillera jusqu'à sa disparition en juillet 2017.

Le compositeur de musique électroacoustique Pierre Henry aura marqué plus d’un demi-siècle de musique par son travail. On lui doit notamment des œuvres comme Variations pour une porte et un soupir (1963), Messe pour le temps présent (1967) dont le morceau bien connu « Psyche Rock » est tiré, La Ville (1984), ou encore Utopia (2007).

Nous avons eu la chance de pouvoir discuter avec Jonathan Prager, compositeur, professeur de musique électroacoustique et interprète acousmatique privilégié de Pierre Henry.

« Je n'écris pas ma musique avec des notes mais avec des mots. » — Pierre Henry

Qu’est-ce que la musique électroacoustique ?

C’est une question assez vaste. Le terme en lui-même est apparu suite à l’opposition qui existait entre les deux principales écoles au tout début des années 1950. En Allemagne, Meyer-Eppler et Eimert fondèrent le premier « Studio de musique électronique » à la Radio ouest-allemande de la ville de Cologne en 1951.

Tous les paramètres sonores devaient être notés sur papier millimétré à l'avance, ne laissant ainsi pas de place au hasard.

Karlheinz Stockhausen, 1994.

Ce type de musique « électronique » est totalement à l’opposé du travail de Pierre Schaeffer et de Pierre Henry à la même époque à Paris. Schaeffer avait très vite compris l’ouverture musicale et sonore fantastique engendrée par la démarche concrète : d’où l’expression “Musique concrète”, qu'on lui doit depuis 1948. Il est également vrai que si Schaeffer n'était pas fondamentalement opposé aux sons artificiels produits par les machineries électroniques, il avait fortement tendance à apprécier beaucoup plus la richesse organique et toujours mouvante des sons d’origine acoustique.

En 1956, Karlheinz Stockhausen (un des plus importants compositeurs allemands des XXe et XXIe siècles) à Cologne et Pierre Henry à Paris créent chacun de leur côté une pièce (respectivement Le Chant des adolescents et Haut-voltage) dans laquelle ils mélangent à proportion égale des sons de facture électronique et acoustique. Du fait de cette mixité des sources employées, c'est à ce moment qu'on voit apparaître l'expression « musique électroacoustique ».

Afin d'éviter la confusion avec le vocabulaire technologique employé déjà par les ingénieurs du son, on dira « musique électroacoustique » (sans tiret) pour parler du genre musical, et « électro-acoustique » (avec tiret) pour faire référence à cette technologie que l'on retrouve bien sûr dans toutes les situations d'amplification et d'enregistrement du son.

Pierre Henry, 2008. Photo Jean-Christophe Windland.

Quelle était la relation entre le travail de Pierre Henry et son utilisation du matériel ?

L'artiste de musique concrète utilise donc des sons d'origine électronique et acoustique. Dans le cas des sons microphoniques, privilégiés par les compositeurs tel que Pierre Henry, le microphone est placé à très faible distance de la source.

Ces prises de son sont ainsi fixées sur un support audio pour pouvoir être ensuite manipulées (transformées, montées, mixées). Il faut bien comprendre qu’en musique électroacoustique, le studio en lui-même, notamment le studio « traditionnel » analogique (avec magnétophones et console de mixage, comme on peut encore en voir dans celui de P. Henry), était envisagé comme un véritable instrument. La relation qui existe entre le compositeur et le matériel qu’il utilise est donc extrêmement importante.

De plus, lorsque Pierre Henry jouait en concert, cela nécessitait le transport de son propre orchestre de haut-parleurs au grand complet : un dispositif formidablement impressionnant de plus d'une centaine d'enceintes, et sur lequel j'ai eu le grand honneur d'interpréter quatre de ses musiques lors de la Nuit Blanche en octobre dernier à la Philharmonie de Paris.

Comment devient-on l'interprète privilégié de Pierre Henry ?

Jonathan Prager. Photo Gaja G. Tyralska

Il y a vingt ans on m’a demandé de jouer des musiques de Pierre Henry pour le festival Futura (à Crest, dans la Drôme). Pendant les premières années, le contact avec lui a été assez délicat : il a fallu faire comprendre qu’un interprète consciencieux et respectueux pouvait aussi jouer ses œuvres. C’est un travail de spécialiste qui consiste à savoir adapter l'écoute de l’œuvre réalisée en studio à la salle de concert par une diffusion spatiale sur un grand ensemble de haut-parleurs diversifiés. Ensemble que l'on nomme aussi “acousmonium”, en référence à la “musique acousmatique”, l'autre nom de la Musique concrète (le mot “acousmatique”, tiré de l'époque de Pythagore, signifiant un son dont on ne voit pas la source qui le produit).

Dix ans plus tard, en 2007, lors d’une interview à France Musique un journaliste lui demande : « Vous avez pensé à transmettre votre travail ? » , Pierre Henry lui a alors répondu : « J’ai autorisé certaines personnes à jouer ma musique : notamment mon ingénieur du son Étienne Bultingaire, mais également Jonathan Prager. » C’était la surprise pour moi, mon travail était donc officiellement reconnu par un de mes Maîtres musicaux ! Je lui en ai été, et lui en serai toujours infiniment reconnaissant.

J’ai eu la chance de pouvoir jouer une fois en concert en présence de Pierre Henry, et même si ce n’était pas une de ses œuvres mais une pièce de Denis Dufour en son hommage, ce fut un moment incroyable, il m’a même félicité très gentiment de ma performance après celle-ci.

Est-ce qu’on peut parler d’une véritable contribution de Pierre Henry à l’émergence de nouveaux genres musicaux ?

« Pierre Henry ne vivait que pour la musique, sans interruption. » — Jonathan Prager

Pierre Henry ne vivait que pour la musique, sans interruption : il a passé des années à travailler et à rechercher. Son œuvre était en évolution constante et elle a interpellé une très grande quantité d'autres musiciens et compositeurs pendant plus de cinquante années. Il m’arrive très régulièrement d’avoir dans mes cours des personnes issues du monde des musiques électroniques actuelles qui viennent y découvrir un travail qui les inspire, parfois même sans qu’ils le sachent.

Un conseil pour débuter dans la découverte de l’œuvre de Pierre Henry ?

On peut commencer avec deux musiques fondamentales, car très différentes, et montrant bien la détermination permanente de P. Henry à faire évoluer son style, ce qui est pour moi le propre du vrai créateur. A écouter sur une bonne chaîne hi-fi :

Une tour de Babel (1999) et ses multiples et foisonnantes propositions musicales et sonores, riches, surprenantes (mais jouant souvent de la répétition), telle la multiplicité des langues humaines et leur infinie richesse de sons, dans laquelle le sens se perd au profit des combinaisons, empilements, accumulations, constructions/destructions…

Et naturellement l'incontournable Apocalypse de Jean (1968), véritable chef-d’œuvre absolu de la Musique concrète, qui déroule sous nos oreilles pendant presque deux heures une véritable épopée purement sonore mais quasi-filmique, grâce à la présence hypnotique et sublime de la voix de Jean Négroni.

Merci à Jonathan Prager pour avoir bien voulu répondre à nos questions et nous éclairer un peu plus sur ce patrimoine français incontournable dont Pierre Henry était un acteur clef.

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