Interview : Paul McCartney revient sur sa vie de bassiste | Les archives de Tony Bacon

Note de la rédaction : cet article fait partie d'une série d'entrevues inédites tirées des archives personnelles de recherche du célèbre guitariste Tony Bacon. Ces entrevues seront publiées sur Reverb au cours des prochains mois.

Consultez notre fil d’actualité pour être informé de la publication des futures interviews. Vous pouvez d’ores et déjà consulter les interviews de Tony en compagnie de Tom Petty et Chet Atkins, ainsi qu'un grand entretien consacré à l'enregistrement de l’album Sgt Pepper.

J'ai rencontré Paul McCartney à son studio pour réaliser cette interview en vue de mes recherches pour la première édition de mon livre The Bass Book. En novembre 1994, mon co-auteur Barry Moorhouse et moi nous sommes retrouvés à quelques heures de route de Londres, dans une ancienne usine de l'East Sussex abritant le siège social de l’artiste.

Nous étions bien arrivés au bon endroit : une vieille carte de Liverpool était collée sur le mur, un post-it sur le panneau d'affichage indiquait de rappeler George Martin, une grosse contrebasse peinte couleur or était posée dans un coin.

Paul est entré, nous a serré la main et s'est emparé de la contrebasse, un cadeau de Linda dont l’ancien propriétaire n’était autre que le bassiste d'Elvis Presley, Bill Black. Il a ensuite commencé à jouer deux couplets de « Heartbreak Hotel », sa manière à lui de faire connaissance. Il était clair que cette entrevue s’annonçait sous les meilleures auspices.

Vous avez rencontré Elvis, n’est-ce pas ?

Elvis, c’était la star. Malheureusement, la drogue l’a rendu con. Mais je l'aimais bien au début, mais quand nous l'avons rencontré, i se trouvait à ce moment-là de sa vie. Vegas, les strass et tout ça, ça ne m'intéresse pas, c'est comme s'il n'existait plus pour moi depuis ce temps-là.

Les disques Sun des années 50 sont géniaux.

Oui. Je les ai écoutés cet été, ça fait des années que je ne les ai pas entendus, et j'ai été époustouflé. J'ai soudainement réalisé que la dernière fois que j'avais écouté ça à fond, c'était avant les Beatles, avant tout ce qui m'était arrivé, et c’est comme si tout ça avait disparu. C'était comme si j'étais redevenu l’enfant qui jouait au billard en écoutant ça. Ça m'a même fait pleurer. Et je me souvenais de toutes les paroles : [chantant] [Hold me close, hold me tight …» (from « I Want You, I Need You, I Love You »].

Elvis Presley - « I Want You, I Need You, I Love You »

Et mes enfants m'ont dit : « Papa, tu connais vraiment toutes les paroles ? Vous feriez mieux de me croire. Et je me suis dit : « J'étais comme eux avant les Beatles, et maintenant, je vis avec l'héritage des Beatles, et c'est génial. Ca aurait pu être pire. Mais vous voyez ce que je veux dire ? C'était fantastique, j'avais à nouveau 17 ans. Ce qui n'est pas désagréable quand on a 52 ans [en 1994]. De quoi voulez-vous qu'on parle ? Pardon, je suis en train de m'égarer...

J'aimerais parler de vous en tant que bassiste, en remontant dans le temps aussi loin que possible. Je m'en excuse par avance...

Non, je suis heureux de le faire, comme vous venez de l'entendre. Les gens pensent souvent : « Oh, vous avez eu tellement de questions sur les Beatles que vous devez en avoir marre ». J'adore ça. Ce fut une période faste de ma vie. Ça ne me dérange pas. J'en suis fier. Je pense que juste après la rupture du groupe, nous ne voulions plus entendre parler des « Beatles », car c'était trop douloureux. Maintenant, du temps est passé. L’époque où j’ai commencé la basse correspond au moment où Stuart jouait sur sa grosse Hofner.

Vous aviez d'abord commencé en tant que guitariste.

Oui, c’est vrai. Nous avons tous commencé quand nous étions enfants, au début de l'adolescence, vers 15 ans à peu près. Mon père m'a acheté une trompette pour un de mes anniversaires, parce que c’était un instrument héroïque à l'époque, « The Man With The Golden Arm » et tout ça. Et comme mon père avait été trompettiste et que j’aimais bien ça, il m’a appris quelques trucs.

« Les gens pensent souvent : « Oh, vous avez eu tellement de questions sur les Beatles que vous devez en avoir marre ». J'adore ça. Ce fut une période faste de ma vie. Ça ne me dérange pas. J'en suis fier. »

Mais je ne pouvais pas chanter en jouant de la trompette, et je voulais chanter, alors je lui ai demandé s'il voulait bien que je l'échange contre une guitare. Il a dit ok, c’était un musicien amateur et quelqu’un de très compréhensif. Il avait un petit groupe appelé Jim Mac's dans les années 20. Je suis donc allé au magasin et j'ai acheté une guitare Zenith, que j'ai encore quelque part, assez belle, et c’est là-dessus que j'ai appris.

Et sur le fait que tu sois gaucher ?

Je m'en suis rendu compte quand je suis rentré à la maison avec la Zenith, la guitare était faite pour les droitiers et j’étais gaucher. Je n’en savais rien, il n'y avait pas de livre à ce sujet, personne ne m’en avait parlé. J'ai donc essayé comme ça sauf que je n'arrivais pas à trouver le rythme parce que c'était la mauvaise main qui le faisait. Et puis j'ai vu une photo de Slim Whitman dans un magazine, il tenait la guitare dans le mauvais sens. Ah, ok, je vois. C’est comme ça que j'ai découvert que j’étais gaucher. J’ai fait comme lui et j’ai changé les cordes de sens.

Je n'ai pas pu changer le sillet de tête, je n'étais pas luthier ou même bricoleur, j’ai simplement changé les cordes de sens. La sixième corde bougeait trop dans le sillet, à cause de la taille qui ne correspondait pas. On coupait donc un petit bout d’une allumette, on la mettait à l’intérieur, et ça permettait de soulever assez le sillet pour que ça fonctionne. Ensuite, il a fallu creuser un peu le sillet pour faire rentrer la corde la plus grave, parce que ça n'arrêtait pas de glisser.

Paul et sa Zenith en 1958

Vous avez donc fait à votre façon [rires]. Précisons [rires] que c’était vraiment du bricolage. Mais ça a fini par fonctionner, toutes les cordes tenaient en place, c'était l'essentiel.

Donc ça a commencé comme ça. Je jouais de la guitare. Puis j'ai rencontré John et George à peu près à la même époque. George avait l’habitude de prendre le bus. J'avais un an et demi de plus que George, donc il était le plus jeune, il montait dans le bus un arrêt après le mien. C'était probablement dû à sa coupe de cheveux, mais j'ai pensé, tiens, lui, il a l’air cool. Il avait ce qu'on appelait une coupe à la Tony Curtis, les cheveux graissés plaqués en arrière, vous voyez ? Donc je me suis dit que je pouvais aller lui parler.

On a commencé à bavarder dans le bus et il s'intéressait à la musique et aux guitares, comme moi. II voulait essayer de fabriquer sa propre guitare, une petite Hawaïenne solidbody, ce qui était un bon point de départ. Ce n’était pas la peine de se lancer dans le style hollowbody, beaucoup plus complexe. Et il l'a faite, et on a commencé à traîner ensemble puis on est devenu bons amis. Son truc hawaïen, c’était vraiment pas mal.

Entre-temps, j'avais rencontré John par l'intermédiaire d'un autre de mes amis, et il m'avait demandé de rejoindre The Quarrymen, qui était le tout premier groupe. Ce que j'ai fait, d'abord en tant que guitariste principal, parce que je n'étais pas mauvais à la guitare. Et quand je n'étais pas sur scène, j'étais encore meilleur. Car quand je suis monté sur scène pour mon premier concert, j'ai complètement foiré. Je n'avais jamais fait l'expérience du trac auparavant.

Est-ce que tu jouais encore avec ta Zenith ?

C'était toujours avec la Zénith, oui. J'avais peut-être ajouté un micro à ce moment-là... Ouais, j'avais un petit micro et un câble, j'ai acheté le micro séparément, j'ai essayé de le fixer sur la guitare. Mais je jouais du « Guitar Boogie» et je m’en sortais très bien en repet, alors que sur scène, mes doigts devenaient tous raides et se retrouvaient sous les cordes au lieu d'être dessus.

J'ai donc juré ce soir-là que c'était la fin de ma carrière de guitariste principal. J'ai pensé qu’il fallait mieux rester dans l’ombre. Donc John et moi avons fait ça à peu près à la même époque, et nous sommes devenus des guitaristes rythmiques.

Et comme je l’ai dit plus tôt, je connaissais aussi George, et nous étions à la recherche d'un guitariste principal, donc j'ai fait entrer George. Au final, nous étions trois à la guitare (par permutation) avec trois guitares acoustiques.

On a fait quelques auditions dans cette configuration là, et parfois John n'avait même pas sa guitare. Il avait une de ces guitares « garantie incassable » dont la pub apparaissait en dernière page du journal Daily Mirror.

Paul se produisant avec les Quarrymen

Vous êtes parti faire vos premiers concerts à Hambourg avec quelle guitare ?

J'ai acheté une Rosetti Solid 7 (électrique). Elle était nulle. C'était juste un beau morceau de bois. Elle avait une belle couleur, mais c'était une guitare désastreuse. Bon marché. Je l'ai acheté à Liverpool et je l'ai emmené à Hambourg. Mon père avait un gros problème avec la vente à crédit, c’est comme ça qu’il avait perdu de l'argent. J'ai donc dû acheter une guitare vraiment bon marché pour le persuader que j’étais capable de le faire.

La guitare n’a pas tenu le choc une fois là-bas, à cause de la sueur, l'humidité, les coups, les chutes, et tout le reste.

Vous vous souvenez du moment où vous l’avez achetée ?

Oui, c’était chez Hessy's (magasin de musique à Liverpool). Elle avait l’air cool sur le moment, mais comme je l'ai dit, ça n’a pas duré longtemps... Et c’était compliqué, parce qu'on jouait dans un petit club et qu’il n'y avait de magasin de musique à proximité. Il fallait se rendre dans le centre d’Hambourg pour racheter des cordes et du nouveau matériel.

Rosetti Solid 7 1959

Nous allions toujours chez Steinway's, c’est là où John et George ont trouvé leurs Club 40 [Höfner, en fait toutes deux acquises à Liverpool], ce qui était une avancée pour le groupe. Puis, quand John a acheté sa Rickenbacker, ça a été l’explosion. On y était.

Parce qu'on ne pouvait pas trouver de Rickenbacker en Angleterre. C'était comme les fringues à Hambourg, la mode était différente, on s’était acheté quelques tenues, on est revenu en Angleterre, et les gens étaient là : mon dieu, mais où t'as trouvé ça ? Oh [voix hautaine], j'étais à l'étranger. Nous avions de jolies vestes avec des cols en daim, et nous sommes aussi revenus avec un peu de matos. Enfin pas moi, jusqu'à ce que ma guitare explose. C’est aussi là, à Hambourg, que j'ai commencé à jouer du piano.

Stu Sutcliffe était à la basse ?

Stu était à la basse. Stu avait obtenu une bourse, car il avait gagné un concours de peinture. Il a reçu la somme de 75 livres. Nous lui avons dit : « C'est exactement le prix d'une Höfner ! »

Par pure coïncidence.

Il a dit : « Je peux pas, impossible, je suis censé acheter de la peinture avec ça. » Bon, on a réussi à le convaincre autour d'un cappuccino à la Casbah, le club de la mère de Pete Best, à West Derby. On avait, en quelque sorte, contribué à la création du club, du café, il y avait des rayures peintes sur le mur et nous en avions peinte chacun une, tout le monde faisait ça. Le lieu était sympa.

Je me souviens qu'à l'ouverture, nous étions assis autour d'une table, moi, John, Stu, peut-être George, et nous avons persuadé Stu de l’acheter, ce qu'il a fait. Il a donc acheté l’Höfner, qui était géante, encore une fois chez Hessy ou Rushworths à Liverpool, selon qui l'avait en stock. On notait votre nom dans un petit carnet et vous reveniez chaque semaine pour payer.

L’Höfner écrasait un peu Stu sous son poids. C'était un petit gabarit. Mais ça lui donnait presque un côté héroïque, dans la manière dont il se tenait debout, avec ses lunettes de soleil, malheureusement ce n'était pas un très bon bassiste. Et c'est ce qui posait problème entre Stu et moi. On a toujours dit qu'on ne s'entendait pas. En fait, il y avait deux raisons à cela. Premièrement, j'étais très ambitieux pour le groupe, et je ne supportais pas que le niveau stagne. Il y avait déjà assez de problèmes comme ça, sans avoir à ajouter quelqu’un qui ne jouait pas si bien que ça, vous comprenez ?

Tous nos potes qui avaient assisté à nos concerts, l’avaient repéré. N'importe quel groupe autour nous, que ce soit Kingsize Taylor & The Dominoes, The Big Three, Faron's Flamingos, n'importe lequel de ces gars (qui étaient dans des groupes comme le nôtre) avait remarqué : le bassiste n’est pas bon. On ne plaisantait pas avec ça à Liverpool. Les mecs ne déconnent pas. Tout le monde nous disait : mauvais bassiste, les mecs. Donc ça posait problème, vous voyez ?

The Beatles, 1960

Nous lui disions parfois de se mettre en retrait quand nous faisions des photos, parce qu'il n'était pas raccord avec nous. On avait toujours l’habitude de regarder les gens droit dans les yeux. Et je le fais toujours. C'est l'une des choses qu’on préférait avec le public : les filles nous regardaient. Les gars regardaient les accords. On se poussait les uns les autres : « hé regarde, ce type-là en bas. Il te fixe à mort. » On pouvait le voir essayer de piger tous les accords.

Donc Stu était là simplement parce que ça ne le dérangeait pas de jouer de la basse, contrairement à nous. Aucun d'entre nous ne voulait être le bassiste. Ce n'était pas le meilleur rôle. Personne ne voulait jouer de la basse, on voulait être sur le devant de la scène.

Le bassiste, c’était généralement le mec un peu gros qui se trouvait au fond de la scène. Dans notre esprit en tout cas, c'était presque toujours le petit gros qui jouait de la basse, et qui restait à l’arrière de la scène. Aucun d'entre nous ne voulait être ce type. Nous voulions être à l'avant, chanter, être beaux. On voulait être remarqué. Tout simplement.

Et puis Stu s’est éclipsé après un de vos voyages à Hambourg.

C'est exact. Nous étions à Hambourg, et Stu est tombé amoureux d'une fille, Astrid. Stu me laissait souvent utiliser sa basse, à l'envers, les jours où il ne venait pas au club. Et il a fini un jour par nous dire : « Je reste ici avec Astrid, je vais me remettre à la peinture ».

« On s’est retrouvé sans bassiste du jour au lendemain. Et tout le monde s'est retourné et m'a regardé. J'étais vraiment embarrassé. Ils m’ont dit : « bon bah, vaudrait mieux que ce soit toi alors. » »

On s’est retrouvé sans bassiste du jour au lendemain. Et tout le monde s'est retourné et m'a regardé. J'étais vraiment embarrassé. Ils m’ont dit : « bon bah, vaudrait mieux que ce soit toi alors. » Je ne pense pas que John l'aurait fait. « Non, vous rigolez ! Je viens de m’acheter ma nouvelle Rickenbacker. »

Je n’avais pas de guitare donc je ne pouvais pas dire : « Je veux être guitariste. » Ils m’auraient dit : « Achète-toi une putain de guitare alors ! » Comme je l'ai dit tout à l’heure, je jouais du piano à l’époque, il y avait un piano sur la scène, et ça me convenait, j’avais d’ailleurs énormément progressé. Je ne savais pas vraiment jouer avant ça, mais j'avais appris sur place. J'ai donc été assez content de revenir sur le devant de la scène.

Est-ce que Stu a gardé sa basse ?

Non, il me l'a prêté pendant une semaine. Puis j'ai vu une basse dans la vitrine d'un magasin à Hambourg, une basse en forme de violon, une Höfner. Son prix était raisonnable et nous gagnions suffisamment d’argent pour que je me laisse tenter (toujours selon les principes de mon père). Et j'aimais sa légèreté. Donc je l'ai achetée, je crois qu’elle coûtait seulement 30 livres.

J'en ai acquises plusieurs au fil des ans. C'est très difficile de me souvenir de tous les modèles. J'en ai encore une [sa deuxième basse Höfner] qui date de l'époque des Beatles, une que j'utilise actuellement en tournée [nous sommes en 1994] et sur laquelle j'ai fait faire quelques modifications techniques. L'année dernière, les frères Mandolin à New York ont fait du très bon travail dessus, ils l'ont accordée pour la première fois de sa vie, ils ont fait un travail extrêmement sérieux.

Mon pote John [le tech John Hammel] l'a ramenée à la vie et maintenant elle fonctionne parfaitement. Avant, le Mi pouvait être juste, mais la troisième frette correspondant au Sol sur la corde de basse était toujours un peu tranchante, donc dès que l'on passait à la troisième frette, c’était un peu bizarre dans le jeu. Je l'utilisais sur une grosse tournée, donc c'était quand même gênant. Je ne l'avais pas utilisée depuis longtemps pour cette raison, mais tout a été remis en état de fonctionnement.

Donc à partir du moment où vous avez eu votre Höfner, vous êtes devenu le bassiste du groupe.

C'est ça. J'avais la basse. J'étais à présent considéré comme le bassiste du groupe, c’était parti. On était pas très sérieux, pas très pointilleux, on espérait toujours que le producteur n'entende pas nos erreurs.

Maintenant qu’on en parle, je dois avouer qu’on disait [il met le doigt aux lèvres] : « Shhh, s'il ne remarque rien, ce n'est pas grave. » Et c’était souvent le cas. « Merveilleux les garçons, merveilleux, bonne prise. »

On disait des trucs comme : « Je ne lui dirai pas si tu ne le fais pas non plus », vous voyez le genre ? Le résultat était assez brut de décoffrage, comme sur tous nos premiers disques. C'était l'esprit du groupe, et ça sonne toujours bien, c’est vivant. Talents émergents (rires), énergie brute ! On sentait qu’il se passait quelque chose d’important.

Je crois que vous avez eu votre basse Rickenbacker lors d'une tournée américaine des Beatles à l’été 1965.

On commençait à être connus, et évidemment, une fois arrivés en Amérique, on était devenus célèbres. M. Rickenbacker est arrivé en disant : « Paul, nous avons une basse pour toi. » « Oh, génial ! Freebie. Merci beaucoup.»

Paul avec sa basse Rickenbacker 4001

C'est tout ce dont je me souviens, à quelques détails près. C'est très difficile de se souvenir de toutes les tournées des Beatles, parce que, quand on ne jouait pas, on nous traînait partout pour faire la fête. Difficile dans ces cas-là de se souvenir de ce qu’on a fait le lendemain matin. Je me souviens juste qu'ils me l'ont donnée. Ils nous ont invités à venir voir l'usine, mais je n'y suis jamais allé. C'était un peu loin de Los Angeles, je crois.

Mais j'aimais beaucoup l'instrument, et l'essentiel pour moi, c'était de pouvoir le jouer. Je ne suis pas très technique. Ce qui m’intéresse, c’est d’avoir l’instrument en main et de le jouer, donc mon attention se portait là-dessus, pas sur le numéro de série, ni sur qui me l'a donné.

J’étais vraiment fan de cette basse mais j’utilisais les deux pour varier un peu. En revanche, j’utilisais beaucoup plus la Rickenbacker à l'époque de Sgt Pepper.

Est-ce que ça a été dur de s’adapter à la Rickenbacker ? Étant donné qu’elle est beaucoup plus large que la Höfner.

Elle est plutôt imposante, oui. Mais je suis un dur à cuire (rires). C'est plus lourd à porter, mais pas tant que ça. On s’y habitue vite. Son style est aussi légèrement différent, mais elle reste accordée plus longtemps, ce qui est un point positif. Parce que c'était un problème majeur avec la Höfner. Je l’adorais, mais c’était quand même assez embarrassant de ne pas être juste, ça avait un impact sur le reste du groupe. Avant, la basse ne ressortait pas dans le mix. Ce n'est que plus tard que la basse et la batterie sont devenues plus présentes dans le mixage.

Je crois que c’est avec l’album Rubber soul qu’on a commencé à entendre la basse un peu plus.

Oui, c’est exact.

Et ça coïncidait avec l’arrivée de la Rickenbacker.

Oui, c'est vrai. En outre, cela coïncidait avec le fait que nous étions autorisés à entrer dans la salle de contrôle. Avant, c’était beaucoup plus cloisonné : on entrait par l'entrée de service, on installait nos affaires, on faisait la session, et on ressortait par la même entrée. On ne nous a presque jamais demandé de monter à la salle de contrôle, ça nous est peut-être arrivé à la fin d'une session. [Prenant une voix snob] : Est-ce que vous voulez monter écouter les garçons ? [Prenant une voix aiguë] « Oh c’est vrai, on a le droit ? Merci monsieur »

C’était vraiment comme ça ?

Oh oui, complètement. L'entrée de service. On est entré par l’entrée principale du studio que des années plus tard. Et les ingénieurs devaient porter des chemises et des cravates. Et tous les techniciens avaient des blouses blanches, très BBC.

Quelqu'un a un jour décrit Abbey Road comme le ministère de l'Enregistrement, comme s'il s'agissait d'une institution gouvernementale.

Oui, ça y ressemblait vraiment. Mais ce n'était pas une si mauvaise chose finalement. Parce que c'était tellement organisé qu’il n’y avait pas de place pour l’à peu près. Il n'y avait que trois sessions principales par jour, c'était comme ça que tout le monde travaillait.

Est ce que vous vous souvenez de la première fois où vous avez utilisé la Rickenbacker en session ?

Non. On arrivait au studio, John et moi, et en fonction de ce qu’on allait faire, on choisissait nos instruments. Je pouvais dire : « Je vais utiliser la Ricky pour ça » ou complètement autre chose.

Je ne me souviendrais pas du morceau. La Ricky était un peu plus imposante, au sens propre comme au figuré, le son était plus robuste qu’avec la Höfner, et un peu plus net.

Votre Rickenbacker a ensuite arboré des motifs psychédéliques. Combien de temps c'est resté ?

La Rickenbacker de Paul et ses motifs psychédéliques pendant le Magical Mystery Tour

C'était à l'époque du Magical Mystery Tour, et j'ai tout enlevé après.

Vous l'aviez fait tout seul ?

Oui, j'ai ressorti des vieux aérosols. On avait déjà fait les voitures comme ça. Après les voitures, on s’est dit : pourquoi pas les guitares ? C'était super, mais c'était juste parce qu'on était défoncé honnêtement.. Un simple coup d’oeil à la guitare et vous déliriez encore plus.

Regardez cette couverture. [Je montre à Paul un exemplaire du magazine Beat Instrumental en date du mois de janvier 1966.]

Hé, on est pas mal.

Sur cette couverture, il y a un capodastre sur le manche de votre Rickenbacker.

Oui je sais. Mais pourquoi ?

Justement, c'est ce que je voudrais savoir.

Je testais des trucs. Quand tu joues de la basse, tu veux tout tester au moins une fois. Donc, un jour, j’ai essayé de jouer avec un capo. Je le fais souvent à la guitare quand je compose un morceau, j’ajoute un capo pour que l’instrument soit différent de celui avec lequel je joue normalement. Tout monte un peu d’un ton et le son devient plus riche, et à la fin, le morceau arrive à refléter ça.

C'est peut-être parce que nous avions composé à la guitare un morceau dans une certaine tonalité, et que je ne connaissais que celle-là. Je ne sais pas. J'avais souvent l'habitude de descendre d'un ton, pour que le mi devienne un ré. Il fallait faire attention à ce qu'on faisait, mais c'était plutôt intéressant. De toute façon, je jouerais avec n'importe quel effet expérimental, juste pour essayer.

The Beatles en couverture du magazine Beat Instrumental

Nous étions très enthousiastes, contrairement aux gens d'aujourd'hui, nous voulions que chaque morceau ait un son différent. On pensait en single, vous voyez ? Les gens pensent aujourd’hui en album, enfin, en CD (parlant en 1994]). John et moi composions toujours dans le but de faire un single. Donc tous nos albums, jusqu'à Sgt.Pepper ou quelque chose comme ça, étaient des albums de singles. Tous pouvaient être réédités en single. C'était comme des numéros mélangés dans le fond d’un chapeau, quelqu'un pouvait tirer n’importe lequel. C’était un peu la loterie, Oh, je suis le single, génial.

« Get Back », « Strawberry Fields / Penny Lane », peu importe. On pensait toujours en terme de single, donc il fallait éviter que ça sonne pareil sinon c’était chiant, genre The Supremes, qu'on a toujours trouvé un peu ennuyeux. Les morceaux se ressemblaient tous ou presque. Ils essayaient de garder le son Motown-Supremes.

On ne voulait pas rester sur nos acquis et avoir toujours le même son. On cherchait toujours à innover. On a toujours fait beaucoup de [il claque ses jambes] ou alors de [il tape sur la table] pour faire les percussions, ou c'était : « N'utilisez pas vos cymbales sur celui-ci », « Pas d'écho sur celui-là », etc... On essayait d'obtenir un son nouveau à chaque fois.

Et c’était pareil pour la basse ?

Ouais, comme ce qu'on disait avec le capo, accorder la basse un ton en dessous, utiliser un modèle plutôt qu’un autre, essayer d'obtenir un son plus mélodique au lieu d'utiliser simplement les notes de base.

On s’en rend surtout compte à partir de Rubber Soul, et « Michelle » me semble être un bon exemple de ce que peut être une bonne ligne de basse, mélodique et bien pensée.

En fait, le morceau est né au moment de l’enregistrement. Ouais ! Parce qu’on n'avait pas beaucoup de temps, on devait réfléchir debout, c'était le problème. Je n'aurais jamais joué « Michelle » à la basse jusqu'à devoir enregistrer la ligne de basse. La basse n'est pas un instrument avec lequel on s’assoit pour chanter. Du moins, c’est ce que je pense. C'est aussi parce que je suis vraiment un guitariste à l'origine, encore aujourd’hui, je compose avec ma Martin ou sur un piano.

En fait, c'était le premier jour d’enregistrement, on avait fait les acoustiques, on avait montré aux gars les accords, moi j'enregistrais souvent sans la basse, ce qui avait le don d’énerver George (Harrison) . Il disait que ça ne sonnait pas comme un vrai groupe. Et je le comprenais. Mais comme j'avais l’habitude de composer à la guitare, je préférais enregistrer sans, je disais souvent : « Ça te dérange si on ne met pas la basse ? ». Faire comme si elle était là, et l’ajouter après.

Et je jouais au piano « Lady Madonna », parce que je le sentais mieux. Plutôt que de dire à John : « je peux te montrer comment faire ? ». Il n’aurait pas pu apprendre un morceau comme « Lady Madonna ». Il était très doué pour les trucs faciles. Sur « Ob-La-Di, Ob-La-Da » John joue au piano et c’est génial.

The Beatles - « Lady Madonna »

Il est arrivé en retard au studio. « Qu’est ce qu'on fait, qu’est ce qu'on fait ? » J'ai dit « Ob-La-Di, Ob-La-Da-Da », et au lieu qu'il prenne sa guitare, il a fait [il chante l’intro et les premières mesures] et on a tous sauté au plafond ! Je pensais que ça allait vraiment partir en live, et c'est ce qui a donné au morceau tout son caractère. Et puis j'ai ajouté la basse après [il chante la ligne de basse] et je l'ai ensuite doublée avec une guitare acoustique.

L’idée est bonne, de jouer exactement la même chose, mais une octave au-dessus de la basse. Et acoustique. On avait l'habitude de toujours monter dans le rouge, c’était encore l'époque où on pouvait défier les machines. Aujourd’hui, elles sont tellement pointues que c’est vraiment difficile de les vaincre. Avec les vieilles machines, tu sentais que ça chauffait ! On pouvait faire sonner des acoustiques comme des électriques en les poussant à fond. Au lieu de [il chante d’une voix douce le riff « Ob-La-Di »] c'était [il chante beaucoup plus fort]. Ça durcit les choses.

Et pour « Michelle » ?

Je me souviens des six premières notes avec l’accord diminué, c'était un grand moment de ma vie. Parce que, comme je l'ai dit plus haut, il fallait réfléchir debout, et je jouais simplement des accords classiques, peu importe lesquels, je maîtrise le truc, sauf qu’ensuite, on en est arrivé à cette partie.

Je pense que j'avais acquis assez d'expérience musicale après avoir joué pendant des années, et aussi grâce mon père, donc c'était juste inné. J’ai compris que j’en étais capable. C'est une astuce bien connue, je suis sûr que les musiciens de jazz l'ont faite avant moi, mais peu importe l’origine de ce truc, c’est comme si une petite voix en moi m’avait dit : « Fais ça, ça collera plus pour l'arrangement, et ça sonne vraiment bien sur ces accords diminués ».

Tu arrives au studio et tu improvises. On a jamais fait de trucs techniques. «Ok, on met un solo de guitare dessus, les gars ? Un peu d'harmonie ? » Personne n’était assis avec un mug de thé à la main à réfléchir pendant des heures. Tu allais tout de suite te mettre au piano avec George Martin qui disait : « Quelle était la mélodie que tu chantais, Paul ? Ce serait une belle harmonie. »

On avait appris à faire des choses compliquées. [Il chante : « If you wear red tonight…» de « Yes It Is.»] Je m'en souviens, parce que John chantait cette mélodie et que toutes les différentes harmonies se mélangeaient [il chante une mélodie complètement différente] dans la pièce.

C'était génial. Il fallait juste apprendre ce nouvel air. Et puis George commençait à chanter autre chose. Vraiment cool aussi. Mais on avait l'habitude de faire ça, donc dès qu'on chantait tous ensemble, c'était : « Hé, c'est pas mal ! » Et parfois, on se mélangeait un peu les pinceaux avec les mélodies de chacun. Mais on avait assez de discipline pour y arriver.

Et de la même manière que vous intercaliez des voix, vous sembliez avoir des idées similaires en ce qui concerne les lignes de basse.

Ouais, avec le temps, j'ai compris que je n'avais pas besoin de jouer les notes de base. Avant, si c'était do, fa, sol, je jouais do, fa, sol,. Mais j'ai commencé à me rendre compte que je pouvais tirer sur ce sol, ou simplement rester sur le do quand ça passait au fa. Je suis passé au dessus de tout ça.

Je me suis dit : « Bon, si tu peux faire ça, qu’est ce que tu peux faire d’autres ? Tu pourrais essayer de jouer des notes qui ne sont même pas dans l'accord ». J'ai donc commencé à expérimenter. « Qu'est-ce que tu pourrais faire ? Tu pourrais peut-être utiliser différentes notes, ou peut-être même un petit air indépendant des accords qui n'existent nulle part ailleurs. Peut-être même avoir une mélodie indépendante. »

Vous avez beaucoup fait ça sur Sgt. Pepper.

Ouais, c'est vraiment à ce moment-là que j'ai commencé. C'est probablement ce qui a fini par être mon truc le plus reconnaissable à la basse, les mélodies indépendantes. Sur « Lucy In The Sky With Diamonds », on aurait pu facilement avoir une version de « Louie Louie Louie » ou quelque chose du genre [il chante une version avec les notes de base des premiers accords]. Alors que j'étais en train de chanter la ligne de basse de « Lucy ». Ce n'est qu'un moyen d'aller de do à fa ou quoi que ce soit d'autre, mais on y arrive d'une façon intéressante. C'est devenu mon truc, de faire ça.

« Rain » est une de mes préférées.

Je n’arrive pas à me souvenir de la ligne de basse [rires]. Il existe une série télévisée sur l’histoire des Beatles qui s'appelle Anthology [diffusée pour la première fois en 1995, l'année suivant cette interview], pour laquelle George, Ringo et moi avons fait beaucoup d'interviews. On a essayé de rétablir la vérité sur certaines croyances, de revenir sur des mauvaises interprétations, etc. Ce qui est très bien, sauf que le plus drôle, c'est qu’on n'est pas toujours d'accord, car c'était il y a 30 ans. C'est assez amusant à regarder.

The Beatles - « Rain »

Il y a un moment où Ringo raconte une histoire, et il dit : « À ce moment-là, George avait mal à la gorge. » La caméra fait un panoramique sur George, et George dit : « Je croyais que c'était Paul, » et la caméra fait un panoramique sur moi et je dis : « Moi, je pensais que c'était John. » Et j'ai compris depuis : si Ringo pensait que c'était George, ce n'était pas Ringo. Si George pensait que c'était moi, ce n'était pas George. Et je croyais que c'était John, donc ce n'était pas moi. Ça devait forcément être John, il était le seul qui restait !

Mais c'est marrant que ça arrive dans ce genre de programme. C'est génial, il faut en rire. C'est tellement humain, tellement réel. On oublie. On a fait du bon boulot. Mais l'analyse, ça n'a jamais été notre truc. Et ça ne l'est toujours pas.

Quoi qu'il en soit, au début des Beatles, la basse nous semblait être un élément accessoire, alors qu’elle est ensuite devenue un élément essentiel.

Ouais, avec le temps, je suis devenu assez fier d'être bassiste, de ce que ça signifiait. Une fois que vous vous rendez compte du pouvoir que vous avez sur le groupe, comme on en a parlé tout à l'heure, vous avez le contrôle. Ils peuvent aller nulle part, mec. Ah ! Le pouvoir ! J'ai commencé à m'identifier à d'autres bassistes, à parler basse avec les gars du groupe.

En fait, pour revenir à Elvis, quand nous l'avons rencontré, il essayait d'apprendre la basse. J’ai dit : « Tu essaies d'apprendre la basse ? Assieds-toi, je vais te montrer quelques trucs. » A ce moment-là, j'étais très fier d'être le bassiste. Et mon intérêt pour cet instrument a atteint des sommets quand j'ai commencé à m'intéresser à la mélodie.

Avec les Beatles, on vous voyez toujours avec la Höfner sur scène, alors qu’avec les Wings c’était la Rickenbacker. Pourquoi ?

Paul jouant sur sa Rickenbacker avec les Wings

Je ne sais pas trop. Il y sans doute plusieurs raisons à cela. Je savais que j'étais connu pour jouer sur la violin. C'est comme Charlie Chaplin, vous savez ? La canne, la moustache, et le chapeau melon, c'est Charlie. S'il arrive avec un bandana, rasé et sur un vélo, on se dit : « Mais c'est qui ? » Je pense donc que c’est une des raisons, c’était ma marque de fabrique.

De plus, elle était très légère et je l'avais toujours utilisée en concert, donc j'ai peut-être un peu joué la sécurité, en utilisant seulement l’instrument dont j’avais l’habitude. Après, je me suis habitué à la Ricky, et j'ai commencé à l’utiliser sur scène avec les Wings.

J'ai pensé que c'était le raisonnement à avoir en ce qui concerne la scène : Beatles c’est l’Höfner, Wings c’est la Rickenbacker.

Mais, oui, changer de groupe vous donne plus de liberté, c’est évident.

Vous aviez le choix d'engager qui vous vouliez, mais vous avez choisi de rester à la place du bassiste.

J'aborde toujours une tournée en imaginant ne pas être là. Ce vieux schnock de McCartney part en tournée, qu'est-ce que j'aimerais le voir faire ? J'aimerais le voir jouer de la basse, il est bon à cette bonne vieille basse. Alors je me dis que je dois jouer de la basse. L'homme dans le public, la femme dans le public, ils s'attendent à ce que je joue de la basse.

Je voudrais probablement qu'il interprète « Yesterday », donc on case le morceau quelque part. Au début des Wings je ne le jouais pas, j'en avais assez, mais maintenant je le fais parce que ça se passe bien. J’aime créer l’ambiance les gars ! Et si ça se passe bien, c'est cool. Je suis le contraire de Bob Dylan. Je connais G.E. Smith, qui a joué avec lui, et il m'a dit qu’ils lui disaient : « Oh, Bob, « Tambourine Man » a bien plu ce soir, c’était fantastique. »

Et en réaction à ça, il la jouerait n’importe comment le lendemain soir. Un peu pervers de faire ça, je ne sais pas. En ce qui me concerne, je suis... moins complexe que ça. Si ça s'est bien passé, je la laisse. Mais avec les Wings, oui, j'avais l'impression que ce n’était plus la peine de jouer avec la Höfner, parce que c'était les Beatles et que c’était de l’histoire ancienne. Je ne sais pas si je pensais beaucoup à ça à l’époque des Wings.

Est-ce que, pour vous, les Wings étaient sous-estimés ?

The Beatles était considéré comme le meilleur groupe au monde. C'est difficile de faire mieux. C'est comme défier Dieu. Très difficile, à moins d'être Bouddha. Wings était forcément mis en lien avec les Beatles. Et les comparaisons ont toujours été très dures.

The Beatles était considéré comme le meilleur groupe au monde. C'est difficile de faire mieux. C'est comme défier Dieu. Très difficile, à moins d'être Bouddha. Wings était forcément mis en lien avec les Beatles. Et les comparaisons ont toujours été très dures. Denny Laine n'était pas John Lennon. Henry McCullough n'était pas George Harrison. C'était inévitable.

Ce qui est intéressant, en y repensant, c’est que ce que nous faisions n’était pas si mauvais, seulement j’étais aussi beaucoup dans l’auto-critique.... Les critiques nous ont donné du fil à retordre, mais j'ai été particulièrement dur avec nous. Je me souviens d'avoir regardé un livre, où on parlait d’un de nos albums, je crois que c'était Back To The Egg, et qui n'avait pas bien marché, et je me souviens avoir pensé : « mon dieu, quel désastre».

Des années plus tard, je me souviens avoir regardé ce vieux bouquin avec Bowie, l'un de ces livres de Hit Parade, et on était à la 8e place aux Etats-Unis. Je me suis dit que la majorité des gens se couperait un bras pour être numéro huit. Mais huit, je n'étais pas satisfait, avec les Beatles, on avait été numéro un. Ce n'est pas grave, la vie continue. Mais oui, beaucoup de choses sont sous-estimées, à cause de ça.

La vérité, c'est que j'ai d’abord eu les Beatles, puis les Wings, et comme l'industrie du disque était en pleine croissance à cette époque, on a fini par dépasser les ventes des Beatles pour un certain nombre de disques. « Mull Of Kintyre » en est un exemple, avec les Beatles, on n'a jamais vendu autant de singles. Et il y a trois ans, j'ai joué devant plus de gens qu’avec les Beatles.

Wings - « Mull Of Kintyre »

On détient le record (en 1994), à Rio de Janeiro, 184 000 personnes. On n'a jamais joué devant autant de monde avec les Beatles. L'industrie de la musique n'était pas assez importante. On aurait pu, si elle avait été assez grande. Donc, vous savez, il y a beaucoup à dire pour la période post-Beatles, vraiment, et c'était sur un laps de temps un peu plus long, c’est d’ailleurs très bizarre pour moi, de réaliser que les Wings ont duré aussi longtemps que les Beatles.

Que pensez-vous de l’ère Wings, pour vous en tant que bassiste ?

C'était bien, mais je ne me suis pas autant éclaté que pendant toute cette période de rêve, à l’époque de Sgt.Pepper et Rubber Soul.

Vous savez, avec les Wings, j'étais à la fois leader du groupe, directeur commercial, le ceci, le cela, le cela, le ceci. On n'avait pas Apple, pas Epstein, on avait rien. C'est moi qui ai tout fait. C'était à s’arracher la tête. Avec les Beatles, je n’avais pas à m’occuper de tout ça. On avait un manager, et trois autres types géniaux.

Pour la tournée que nous avons faite récemment, j'ai 52 ans, on a fait un show de deux heures. Avec The Beatles, si on durait 25 minutes, c’est qu’on avait de la chance. Je jouais 10 minutes, John 10, George un peu moins, Ringo faisait un morceau, et on partait. Et si c’était chiant, on partait au bout de 20 minutes. Si vous y réfléchissez bien, j'avais une vingtaine d'années à l'époque, et je jouais seulement 15 minutes. C'est incroyable, je peux tenir deux heures aujourd’hui. C'est la vie, c’est comme ça. Je suis toujours là.

Il y a eu un moment où j’ai atteint un pic de niveau de jeu de basse, et après ça, j'ai eu tellement d’autres choses à faire que je n’ai pas pu continuer à simplement jouer de la basse. Je pouvais me concentrer sur le composition d’un morceau, chanter en harmonie avec John, ou jouer de la basse, un peu de piano, de guitare ou autre. À part ça, je n'avais pas grand-chose à faire, donc je pouvais mettre toute mon énergie là-dedans.

Et je pense qu'après cette période, j'ai délaissé mon rôle de bassiste pour celui de « frontman ». Ce n'était pas vraiment ce que je préférais faire, mais il n’y avait pas trop d’options. La seule alternative était d'abandonner la musique.

Wings

Le public ne vous attendait pas sur ce rôle de chanteur.

Non, c'est ce que je veux dire. Ringo et moi avions l’habitude de discuter de ces choses-là, c’est encore le cas, notre rêve commun serait d'être à l'arrière de la scène d’un club très sombre, la basse et la batterie plongées dans l'ombre, et d'avoir trois ou quatre autres personnes pour faire le show, personne ne nous remarquerait et on pourrait simplement faire de la musique. Quand on y pense, c'est pour ça qu'on a tous voulu faire de la musique, on ne voulait pas devenir des stars, je pense. On voulait faire partie d'un groupe. Être musiciens. Tout simplement.

On ne s'est jamais vraiment considéré comme des stars de la pop, nous les Beatles. Nous étions musiciens. John et moi étions d'honnêtes compositeurs. Vous vous dites : Lennon & McCartney, Rodgers & Hammerstein, c'est ce que nous pensions être. En fait, c’était le cas, c'est un peu comme ça qu'on se souviendra de nous au 20e siècle.

Mais en tant que groupe, nous étions plus intéressés par les gars du public, parce que eux s’intéressaient vraiment à la musique, ils n’étaient pas venus voir nos jambes. Les filles regardaient ton visage, tes jambes et tes fesses et se mettaient à crier.

Les mecs [d’une voix sérieuse] étaient dans une autre démarche, ils adhéraient vraiment à ce qu’on faisait, vous voyez ? Ils ne criaient pas, ils regardaient juste les accords. L’artisanat, le métier de musicien, c'est ce qui m’intéresse, pas tout ce qu’il y a autour. Et c'est probablement l'autre côté du miroir qui a causé la fin des Beatles, si on y réfléchit.

C’est grâce à vous que de nombreux musiciens, à la fin des années 60, ont commencé à voir la basse d'une autre façon, si on revient à ce que vous disiez plus tôt.

C'est devenu un peu plus technique, oui. Je ne pense pas que ce soit seulement grâce à moi, mais merci. En fait, je pense que James Jamerson et moi avons contribué à ça. Je m’inspirais beaucoup de lui. Curieusement, j'ai toujours aimé la basse. Mon père, comme je l'ai dit, était musicien et je me souviens qu'il me donnait parfois des cours, pas de cours assis comme dans une classe, mais quand il y avait quelque chose qui passait à la radio, il disait : « Tu entends ce son grave ? C'est la basse. » Je me souviens de lui m’expliquant ce qu'était une basse, l'harmonie.

Donc quand on a commencé les Beatles, j'avais déjà un bagage musical grâce à lui, mais très amateur. Et puis j'ai commencé à écouter d'autres bassistes. C’était surtout de la Motown, James Jamerson, qui est devenu mon héros. Je ne connaissais pas son nom jusqu'à récemment. James était très mélodique, et c’est ce qui m'a intéressé chez lui.

En fait, lui et Brian Wilson ont été mes deux plus grandes influences. James parce qu'il était extrêmement doué et mélodique et Brian parce qu'il innovait. Par exemple, si tu jouais en do, Brian resterait peut-être beaucoup sur le sol afin d'empêcher les autres d’avancer. C’est grâce à lui que j’ai commencé à réaliser le pouvoir que je pouvais avoir au sein du groupe.

Pas vraiment un pouvoir de vengeance, simplement le fait de se dire que même si tout le groupe part en la, toi tu peux aller en mi. Et c'est vous qui avez le contrôle, incroyable. C’est quand j'ai donc compris tout ça que je me suis sérieusement mis à la basse.

C'est devenu un instrument beaucoup plus funky, presque comme un tambour avec plein de possibilités rythmiques. C'était très excitant et cela m’a permis de ne jamais m’ennuyer. Le danger avec la basse, c'est que tous les autres ont les parties intéressantes, et toi, tu te retrouves avec les notes de base, genre deux par mesure. Mais maintenant, j'aime bien ça, j'aime la simplicité d’un jeu de basse style country/western.

C'est presque comme s'il fallait apprendre tous les trucs compliqués pour—

« L’innocence qu’on avait, c'était le plus important. On était en train de tout découvrir, de tout inventer au fur et à mesure, et nous n'avions pas beaucoup de temps pour réfléchir. Ce qui, je pense, est toujours une bonne chose. »

—en revenir, c'est vrai, pour revenir aux choses simples et belles. Mais comme je l'ai dit, je suis devenu très fier d'être le bassiste des Beatles. Ce qui a été difficile pour moi, c'est que comme certaines de ces parties étaient des parties mélodiques indépendantes, c'est devenu beaucoup plus difficile à chanter. C'était comme faire ça [il se tapote la tête et frotte son ventre]. J'ai donc dû travailler là-dessus, ce qui fut très intéressant.

C'est comme les batteurs qui jouent quatre parties indépendantes et différentes.

C'est fantastique, et quand on fait de la musique classique, on se rend compte à quel point le rock'n'roll, le R&B et tout ça sont vraiment bons. Parce qu’on a tendance à penser que la musique classique est supérieure, plus réfléchie. Je ne vois pas les choses de cette façon. Je disais à quelqu'un que, si on composait des percussions classiques, on composerait peut-être trois ou quatre parties, mais en y réflechissant, le batteur rock fait cht-cht-cht-cht-cht-cht-cht-cht avec une main, donk-de-donk avec un pied, sst-sst-sst-sst avec l'autre pied, et puis bup-be-bap avec l'autre main. C'est très compliqué, vraiment. Et puis il pourrait aussi chanter : « Talking about boys, yeah yeah, boys. »

Ringo avait l'habitude de faire « Boys » [rires], morceau qui venait d’un groupe de filles, The Shirelles, il me semble. Elles chantaient souvent des chansons sur les mecs et du coup Ringo a gardé les paroles ! Mais on n'y a même pas pensé. C'était juste une chanson.

L’innocence qu’on avait, c'était le plus important. On était en train de tout découvrir, de tout inventer au fur et à mesure, et nous n'avions pas beaucoup de temps pour réfléchir. Ce qui, je pense, est toujours une bonne chose. Plus tu as le temps d'y réfléchir, plus tu t'inquiètes. J'aime faire confiance à mon instinct. Ok, c'est à toi. Putain de merde ! Alors, c'est parti.


À propos de l'auteur : Tony Bacon écrit sur les instruments de musique, les musiciens et la musique. Il est cofondateur de Backbeat UK et de Jawbone Press. Ses livres incluent : The Ultimate Guitar Book, The Bass Book et différentes éditions de Beatles Gear. Son dernier livre est intitulé Electric Guitars : Design And Invention (Backbeat). Tony habite à Bristol, en Angleterre. Plus d'infos sur tonybacon.co.uk.

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